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ALEXANDRE DUMAS FILS.

manisé, voilé de larmes, versant enfin dans les cœurs une émotion plus pure.

Mais est-ce un Idéal chrétien, qui laisse une impression vraiment chrétienne ? J’ai peur que M. Dumas n’altère toutes les Idées dont il s’empare. Il les façonne pour le théâtre ; il les pétrit comme de cire, tant qu’enfin il n’en subsiste qu’un peu de matière déformée et trop rudement modelée par ses mains impitoyables. Toute la morale chrétienne repose, si je ne m’abuse, sur deux essentielles vertus, dont elle a enrichi le monde : la Charité, et l’Humilité. — « Aime ton prochain comme toi-même. » — « Les premiers seront les derniers. » — Toute sa beauté, toute sa grandeur viennent de là. La Charité — qui est le fond du dogme, sublime invention ou divine révélation, qui se trouva résumer soudain et formuler d’un mot les aspirations encore vagues et pourtant convergentes de l’antique philosophie ; la Charité, dont Christ mourant sur la croix pour racheter les fautes des hommes, est le symbole grandiose ou le mythe édifiant. Et aussi l’Humilité, — dont le même Christ fournit le premier exemple, alors qu’il résigne aux mains des hommes sa volonté et sa vie, sans regret et sans effort ; l’Humilité qui fait paraître combien tout ce qui est l’humaine créature et vient d’elle n’est rien, et que seul est grand, seul est considérable ce qui émane de Dieu. Prise en sa source même et dans le mystère de la Rédemption, cette morale a pour caractère un héroïsme simple, et pour principe l’esprit de sacrifice, d’abnégation, de renoncement.

M. Alexandre Dumas, qui connaît Polyeucte et qui le cite volontiers, n’a pas manqué de voir, éclairé par son instinct du théâtre, tout le parti qu’un écrivain dramatique peut tirer de la Foi et de ses sublimes effets. Le sacrifice l’a tenté, aussi bien que Corneille, parce que c’est une crise violente et un déchirement de l’âme : et comme il n’est pas timide en ses intellectuelles convoitises, le sacrifice religieux était