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LE THÉATRE D’HIER.

ou des femmes esseulées, et qu’ils exécutent en virtuoses, qu’ils ont au bout des lèvres et dans les doigts, les harmonieux égoïstes, les tziganes charmeurs, les Chantrin[1] autant que les Alphonse.

Chantrin n’est pas méchant ; je ne dirai pas non plus qu’il soit bon ; il est mieux : c’est un bon petit jeune homme, élevé par sa mère. Il a l’indiscutable mérite d’une barbe très soignée, et il épousera une dot. Ce poupon barbu et cosmétique est presque un idéal. Un peu moins éthéré déjà, Fernand de Thauzette[2], un Chantrin qui a vécu, assez mal, et qui, sur les conseils d’une mère expérimentée, songe à faire une fin. Il est bien le fils de sa maman, frivole et assagie sur le tard, ce bellâtre nul et satisfait, qui a perdu le sens moral dans une existence absurde, et qui n’a qu’une petite science, celle de tirer parti de sa voix, qui est douce, et de ses yeux baignés de langueur. S’il était une femme, dont peu s’en est fallu, il serait une Sylvanie ou une Césarine. M. Dumas a crayonné de quelques traits précis ces nigauds pervers et secs, sans cesse occupés à venger un peu trop les pauvres diables, à qui manque je ne sais quel tour du visage.

Mais laissons les écoliers ; venons aux maîtres égoïstes, aux cruels inconscients. Est-ce parce qu’il se rencontre dans une pièce contestable et de jeunesse, je trouve qu’on n’apprécie pas à sa valeur Charles Sternay[3]. M. Dumas a tracé des rôles plus séduisants ou plus fouillés ; nulle part il n’a montré plus de sûreté dans l’observation, plus de prestesse dans l’exécution. Débarbouillez-moi cet homme-là d’un certain romantisme dont il s’est grimé, oubliez les grands gestes et les phrases à effet, et dites s’il n’est pas toute une époque, si rapprochée de nous que nous n’en som-

  1. L’Ami des femmes.
  2. Denise.
  3. Le Fils naturel.