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ÉMILE AUGIER

d’un air entendu (et à peine dédaigneux pour les éducations vieillottes qui y répugnent) qu’elles sont vivantes, et poignantes, et saignantes. Ceux-là ne trouvent pas ici leur compte et demeurent déçus par cet art supérieur à l’artifice, et ce style qui s’efforce uniquement à la vérité et à l’harmonie de la pensée. Et enfin, c’est, pour tout dire, chez l’écrivain comme chez l’homme, une indiscrétion de bon sens et d’honnêteté, poussée jusqu’au génie.

J’ai dit : génie, et ne m’en dédis pas. Au moment où Émile Augier vient à peine de disparaître, il serait outrecuidant de présager ou de prévenir les arrêts de la postérité. Nous sommes encore trop intimement liés à la société qu’il a observée et à l’époque qu’il a peinte, trop directement soumis à leurs préjugés et à leurs influences, pour prononcer sans appréhensions sur les parties de cette œuvre qui sont de marbre, et immortelles. Mais d’ores et déjà peut-on dire ce qui constitue le génie d’Émile Augier, ce qui a fait de lui un classique, avant même qu’il fût mort.

« J’ai gardé de ma naissance, déclare un personnage du Post-Scriptum, un fonds de bonne humeur, dont la vie n’a pas encore pu triompher. Il est vrai que j’ai une santé athlétique, mauvaise disposition pour la mélancolie. » Émile Augier a été un esprit sain, l’un des plus sains peut-être de ce siècle. De là lui viennent deux qualités essentielles au caractère français, et qui sont les solides assises de notre littérature : le bon sens et la gaité. C’est en vain que nous entreprenons, à de certaines périodes, de nous exercer à la sensiblerie, à la mélancolie, au pessimisme : il nous est malaisé de faire violence à notre nature et de nous assimiler ces germes exotiques, qui ne rencontrent pas en nous un favorable terrain. La mode passe, notre tempérament reste. Avec nos airs légers, évaporés, nous ne sommes qu’un peuple de bon sens, foncièrement heureux de vivre. Qu’y faire ? On ne s’amende plus, quand on a