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LE THÉATRE D’HIER.

Augier a eu ce don dès le début. Il possède le rythme dramatique, peut-être moins uniforme et émietté, moins arrêté en ses contours que celui de Molière, aussi net d’ensemble, et toujours dans le train de la scène. Cette professionnelle qualité de son style poétique se fortifie encore dans la prose.

Joignez qu’il a, sinon inventé, du moins mis en valeur avec obstination la poésie bourgeoise et modeste. La philosophie de son théâtre l’y inclinait. Mais cela encore était assez nouveau et osé après le lyrisme exalté de Hernani, à côté même du classicisme éloquent et indiscret de Ponsard. Toute une école est sortie de là, qui a ses partisans et ses renommées[1]. C’est la poésie des humbles, le chant des joies domestiques, des intimités, des honnêtes misères, du travail, du ménage, de la campagne, de la province et de la banlieue, l’hymne familial des peines récompensées, de la vie régulière, et de l’avenir consolidé.

J’ai quinze mille francs chez Lassusse, dix mille
Chez Blanche, hypothéqués sur sa maison de ville.


Le « luxe d’un garçon » et le « machin au fromage », qui firent bondir M. Vacquerie à la première représentation de Gabrielle, sont les exagérations concertées d’un auteur jeune, et qui fondait un genre dont l’audace ne nous bouleverse plus aujourd’hui. Et c’en était une pourtant que d’écrire, à cette époque, des pièces en vers, où l’on chiffre, où l’on mange, où l’on vit simplement, et d ajouter l’épice de la rime à celles du pot-au-feu. Il a le sens du bien-être, l’amour du gîte, le rayonnement d’une belle santé physique et morale. On peut lui reprocher quelques vers prosaïques ou d’un esprit entortillé :

Permettez à vos pieds. Madame, qu’on se jette.

  1. François Coppée, Eugène Manuel.