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ÉMILE AUGIER

ses débuts, est nourri des grands modèles. S’il est excessif de prétendre, comme on l’a fait, qu’il ne s’éleva d’abord guère au-dessus des pastiches de Regnard et de son maître, il est juste de reconnaître que son vers ne s’affranchit pas tout de suite de l’imitation. Et je ne dis pas seulement qu’il s’est sans hâte dégagé de la poésie classique, dont il était imprégné, mais aussi de la tirade romantique, dont la forme et la couleur — sinon le lyrisme et la poétique même — n’ont pas laissé que de le séduire. Si parfois, dans Paul Forestier, on rencontre des vers comme celui-ci :

Tudieu ! quelle gaillarde aux tentations promptes !


on trouverait dans l’Aventurière quelques couplets à la Musset :

Ventrebleu ! Plus je bois et plus ma soif redouble !
Regarde-moi ce jus, l’abbé, ce jus divin,
Que le monde a nommé modestement du vin !


et jusque dans le Joueur de flûte quelques morceaux qui ont, à défaut de l’envergure, l’éclat de Victor Hugo ou d’Alexandre Dumas :

Tout un monde invisible à mes yeux a brillé :
Monde de volupté, de parfum, de lumière.
Dont l’éclat rayonnait autour de ta litière,
Monde resplendissant, aux jours d’été pareil,
Dont ta fière beauté me semblait le soleil !


Mais parmi ces imitations mêmes, il est aisé de reconnaître la marque propre d’Émile Augier. Il a de l’imagination, de la fantaisie ; il est riche, somme toute, en sensations poétiques ; mais d’abord il est poète dramatique, c’est-à-dire que sa période prend de soi et d’emblée l’allure du théâtre, qui est un rythme démonstratif, et non pas, comme chez les lyriques, l’infinie variété des rythmes. Il a, sans effort, le mouvement qui convient à la scène, et sa tirade s’y plie sans révolte, comme par un don de nature. Émile