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LE THÉATRE D’HIER.

meau, elle a été élevée, dotée, mariée par le brave homme que les sacrifices attirent. Elle a épousé un avocat, Me Léon Lecarnier, qui lui a donné un fils, et ces trois êtres, le bienfaiteur, le mari et l’enfant, sont la trinité de son cœur, de sa religion, de sa foi. Quand elle apprend que son époux la trahit et la ruine, son orgueil et sa raison se révoltent. Elle n’est pas de grands sentiments. Elle est honnête et rien de plus. Cela représente en son esprit l’attachement au devoir, au foyer, une conscience droite, un peu étroite et bourgeoise, sans doute, et qui conçoit l’amour comme un engagement qui lie, au même titre que bienfait reçu. Et bourgeoise elle est dans son premier transport ; dans sa honte d’être victime entre quelque colère d’être dupe. Mais le second mouvement est d’une femme en qui persiste l’amour filial des premières années. Ce sentiment naturel l’élève au-dessus du vulgaire ; son cœur s’épure ; son amour blessé cède à l’affectueuse pitié, et lui donne le courage de se taire. Elle méprise son mari, moins qu’elle n’adore son tuteur. « Le moment venu, entre lui et vous, dit-elle posément, je n’hésiterais pas. » Elle hésitera cependant à l’heure de la crise, parce que, si elle est fille, elle est mère aussi, parce que l’enfant, c’est l’avenir et l’espérance, partant le devoir le plus fort. Et tout de même Camille Forestier, élevée dans un milieu plus artiste, trahie par Paul, trahie par sa tante, tombe du haut de son amour et de ses croyances naïves. Et, comme elle est plus jeune, elle en meurt sur ce seul reproche, qui évoque toute sa vie d’autrefois : « Moi qui vous aimais tant, Léa ! » Et décidément, c’est cette fleur de jeunesse qu’Émile Augier cherche à préserver dans ses caractères de femmes, et qu’il enveloppe d’une poésie douce et sereine. Il les a pris, ces exemplaires d’une génération qu’on craint de voir entièrement disparaître, en des milieux de lui connus, où la grand’mère portait encore le bonnet. Il ne les a