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ÉMILE AUGIER

des caractères de femmes, qui fussent de leur siècle et de leur milieu, avec une sensibilité discrète qui nous aurait dû suffire, pauvres sots que nous sommes, et qu’elles tiennent de son fond de nature, de son tempérament, à lui. Elles sont toutes en ces quelques lignes du Gendre de M. Poirier. Le reste n’est que nuances, plutôt que différences.

« À la bonne heure, vous n’êtes pas romanesque. » — « Je le suis à ma manière ; j’ai là-dessus des idées qui ne sont peut-être plus de mode, mais qui sont enracinées en moi comme toutes les impressions d’enfance. Quand j’étais petite fille, je ne comprenais pas que mon père et ma mère ne fussent pas parents ; et le mariage m’est resté dans l’esprit comme la plus tendre et la plus étroite des parentés. L’amour pour un autre homme que mon mari, pour un étranger me paraît un sentiment contre nature. Il y a le revers de la médaille. Je suis jalouse, je vous en avertis. Comme il n’y a pour moi qu’un homme au monde, il me faut toute son affection. Le jour où je découvrirais qu’il la porte ailleurs, je ne ferais ni plainte ni reproche, mais le lien serait rompu : mon mari redeviendrait tout à coup un étranger pour moi… Je me croirais veuve. »

Ainsi parle Antoinette, la petite pensionnaire ébaubie, qui se révèle en son orgueil de femme, avec ses pudeurs déjeune fille. C’est tout juste la transformation, le point de maturité qu’Émile Augier a touché d’un tact délié, dans presque tous ses caractères féminins, ce mélange de candeur et de jugement, de tendresse et d’amour-propre, de naïveté confiante et de jalousie ingénue, qui dévoile dans la femme les chastes délicatesses de l’enfant. Ces préjugés la rattachent à la jeunesse et raffermissent dans la vie. C’est le fond de l’âme ; et tout cela s’harmonise sous les dehors d’une grâce aisée et simple. Peut-être la femme moderne ne s’est-elle sentie si compliquée que depuis que nous le lui avons trop dit. Et il se pourrait que le dernier mot de l’énigme ne fût pas pour nous flatter.

Pareillement, les souvenirs d’enfance ont fait de Thérèse Lecarnier une femme[1]. Pupille de Pom-

  1. Les Lionnes pauvres.