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LE THÉATRE D’HIER.

prouve ; qu’il en ait observé les progrès, je n’en veux pour preuve que Gabrielle et les Lionnes pauvres. Mais la vérité est qu’il a surtout rêvé pour la femme bourgeoise un idéal de passion honnête et familière, très acceptable et accessible. Il avait trop de sens pour ne pas comprendre les déplorables effets de l’adoration niaise dont notre société grisait et dépravait l’idole ; il avait le regard trop attentif, pour ne pas percer les apparences de cette superstition improvisée par notre vanité de parvenus. Et sans violence, il a signalé l’erreur et indiqué le remède.

Même les femmes qui en ont été victimes, hormis pourtant Olympe et Séraphine, sont des figures empreintes d’une tendresse qui rachète la faute, qui la paie d’une souffrance inavouée. Les plus irréprochables ont conçu l’amour à la façon d’un devoir mutuel et d’un délicieux contrat. Elles ont apporté dans le ménage la fortune, la jeunesse, et une droiture de cœur, qui tient à leur éducation et à la compagnie dans laquelle elles ont grandi. Nées dans la classe moyenne, elles en ont les qualités moyennes. Elles ne sont pas lyriques ? M. Charrier ni M. Pommeau ne l’étaient, qui les ont élevées. Elles sont douées d’une certaine faculté de raison et de prévoyance, qui les préserve des romanesques aventures ? Nunc erudimini… C’est que, toutes petites, elles ont appris à voir, à compter, à raisonner, plus isolées dans l’hôtel du banquier, leur père, que la fille du peuple en sa mansarde ou les princesses dans leur palais. Et si, par-dessus le marché du reste, Émile Augier leur a prêté le charme de l’honnêteté, la franchise du cœur, quelques préjugés un peu fanés, qui assurent leur foi dans le mariage, et que les Dandins de la blague s’empressent à rajeunir ; s’il leur a conservé une fierté de caste naissante, qui les met à l’abri — pour un temps — des molles complaisances ou des agréables concessions, je dis qu’il a essayé, génie fait de bon sens et de probité, de créer