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ÉMILE AUGIER

leur passion n’est ni compliquée, ni mystérieuse, ni exaltée.

Je rapporte à ma femme heureuse et souriante
La fatigue des champs saine et fortifiante,
Et, riche le matin, le soir plus riche encor,
Sur mon frais oreiller j’admire mon trésor…


Mais cet amour si simple et rustique n’est-il pas un peu bien artificiel et de convention ? Les jeunes femmes de ce théâtre sont-elles des caractères vrais et vraisemblables ? Est-ce donc ainsi qu’on aime ? avec cette rectitude, et presque cette exactitude ménagère ? Sont-ce des femmes, ou des idées abstraites, des maximes de la vie domestique, coiffées, avenantes, relevées de colifichets, des jouets articulés et brevetés avec la garantie de la raison pratique et de la saine morale ? Gabrielle, Antoinette, Camille[1] ont-elles connu l’amour ? « Vous voyez bien, disent les romantiques, qu’elles s’y essaient trop prudemment. Elles s’engagent avec infiniment de sagesse dans une manière de sentiment, où entrent un peu d’orgueil et de jalousie, un goût réfléchi pour la ligne droite et l’existence régulière, et beaucoup de diligence à surveiller leur cœur comme à écumer leur pot.» — Et les romantiques n’ont pas tort, Émile Augier ayant voulu réagir contre cet idéal d’amour fatal, d’amour indépendant, d’amour exalté, de la « force qui va. » — Et les réalistes sont venus, qui ont déclaré : « Il s’agit bien d’honneur, de famille, de fierté, quand il s’agit de la bête de l’Apocalypse. Ces épouses-ci ne sont bonnes qu’à faire d’honnêtes femmes. » Et ils ont trop raison[2]. Émile Augier a observé la femme dès une époque et en des milieux où le mal romantique n’était pas encore irréparable. Qu’il en ait vu la menace, tout son théâtre le

  1. Gabrielle, le Gendre de M. Poirier, Paul Forestier.
  2. V. Notre Étude d’Alexandre Dumas fils, v, les Femmes.