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ÉMILE AUGIER

de Montlouis il ne se soucie plus guère ; de la famille, du vieux château tapissé de lierre, et de la lande, où retentit vainement le rappel du biniou, il n’a même plus souvenance.

Le comte et la comtesse viennent l’arracher à Paris, puisque Paris ne veut point le rendre. Ils arrivent dans le fringant hôtel pendant une de ces fêtes intimes où la blague sévit avec rage, où l’argot fait fureur, où crépite en fusées un dialecte assez différent du patois bas-breton. Le père s’est retiré triste, songeant à la petite Marie, qui là-bas attend et se désole. Mais les mères ont la persévérance et le courage ; et les honnêtes femmes pratiquent la solidarité du cœur. La comtesse revient seule dans cet endroit maudit ; c’est la scène capitale de l’œuvre, la lutte de l’honneur et de la contagion. Tous les dessous de cette vie s’étalent, sans imposer à la droiture instinctive et butée de cette mère, qui devine plus qu’elle ne comprend, et qui supplie sans déclamer. Tout y est : le luxe, le jeu, la Bourse, le monde moderne, la femme, le mariage d’argent, le mépris de l’amour et de la famille. C’est de l’observation condensée, et comme la synthèse dramatique des convictions, auxquelles l’auteur a consacré son œuvre et sa vie.

« Je vis des idées de mon époque, comme vous avez vécu des idées de la vôtre : voilà mon crime. Si vous consultiez le carnet de mon agent de change, vous m’y verriez en bonne et nombreuse compagnie. Le temps n’est plus des patrimoines lentement accrus et transmis religieusement ; on n’amasse plus la fortune. » — « On la ramasse. » — « Pas dans la boue, croyez-le bien. Je ne suis pas tombé si bas que vous l’imaginez. » — « Soit, mais tu tombes de si haut !» — « Du haut des illusions dans la vérité. » — « La vérité ? Il n’y a rien de vrai que nos croyances, et ne vois-tu pas que les tiennes ne sont plus à la hauteur des nôtres, quand tu places l’argent sur l’autel où nous plaçons l’honneur ?… » — « Je viens de refuser une dot d’un million cinq cent mille francs. » — « Tu l’accepteras demain. »

Il l’acceptera. La parole donnée à Marie, les prières maternelles, les supplications de madame de Montlouis,