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LE THÉATRE D’HIER.

Cependant Me Guérin veille, comme le juif Shylock. La tempête qu’il a déchaînée fait un retour sur sa maison. Il avait acheté le château de Valtaneuse pour le revendre avec bénéfice à cette frivole veuve, dont il a découvert que son fils était épris. Comme la politique l’attire, il voit d’un œil favorable ce projet d’union. La veuve d’un sénateur n’est point à dédaigner pour un député futur. Le mariage du fils ouvrira la carrière au candidat. Dans quelques heures il possédera le château. Il a compté sans le neveu évincé de la succession et déçu dans ses prétentions à la main de Mme Lecoutellier. Celui-ci avertit Desroncerets du coup préparé par le notaire, — en présence du colonel et de la bonne Mme Guérin. L’inventeur perd la tête ; Louis Guérin est indigné, et sa mère, dès longtemps façonnée à consentir à tout, a enfin l’audace d’être étonnée. Desroncerets a vingt-quatre heures devant lui. Qu’il parte pour Strasbourg ! Il a un ami, qui, en ce cas si grave, ne se refusera pas à le tirer d’embarras. Et il est prêt à partir, quand Me Guérin vient le trouver, sous couleur de l’avertir à son tour que l’échéance est arrivée, flatte sa manie, use le temps, écoute confidences et commentaires à propos de la Statilégie refondue et remaniée, accueille, sans prendre d’engagement formel, une autre demande d’argent, et le quitte en toute amitié, quand l’heure du train est passée. « Comme il voulait m’entortiller ! Ah ! les hommes ! Tous les mêmes !… Poussez votre cheval, mon bon ami ; il est distancé par votre dada ! » Et il retourne à son étude. Me Guérin, la tête haute, le cœur dispos, propriétaire assuré du château de Valtaneuse, demain beau-père d’une femme du monde, après-demain député de son arrondissement.

Il rentre chez lui, calme, au sein de sa famille, où commence le remue-ménage de la bataille entre l’honneur et l’argent. Il comparait devant le tribunal de son fils et de sa femme, deux innocents, dont il tâche à satisfaire la curiosité par des subtilités et des