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LE THÉATRE D’HIER.

Enfin, grâce à Dieu, qui protège les bons pères et les filles accomplies de tout point, il a le bonheur d’être ruiné par un coup de Bourse ; et Caliste épouse Trélan, parce que le théâtre d’Émile Augier est plus moral et conciliant que la vie et la société qu’il représente. Cette pièce jeune et encore optimiste est le point de départ d’une observation moins accommodante. Trois fois l’auteur s’est repris à dénoncer ces léthargies de la conscience calme et souriante autant que la surface d’un lac tranquille ; mais au fond se détache un imperceptible point noir, qui, un jour, grossit et s’obscurcit, enfle et soulève en une bourrasque la surface unie du lac tranquille et souriant comme certaines consciences. Après Roussel, Charrier des Effrontés ; tous deux effacent au dénoûment la tache qui souille leur honneur ; ils font le sacrifice de leur fortune, ils se repentent, ils ont le courage de redevenir honnête homme. D’autres meurent dans l’impénitence finale.

Après les angoisses d’une conscience, le bouleversement d’une maison. Maître Guérin est avec les Lionnes pauvres la pièce la plus sombre d’Émile Augier. Toutes les fois que la famille est en jeu, sa droiture ne fléchit point aux adoucissements. La question d’argent fait rage dans l’esprit et le cœur de Me Guérin. Cet officier ministériel est un honnête fripon : il connaît la loi. De sa femme il a fait son esclave, de sa servante sa maitresse ; il jalouse la gloire et la carrure de son colonel de fils ; et, au fond, il regarde en pitié tous ces gens-là ; il est plus fort qu’eux ; il sait d’expérience combien honnêteté, honneur, chauvinisme, uniforme, médailles, ferblanterie, affections de famille, combien tout cela est au-dessous de l’argent, dont la jouissance est acre, et la puissance mène à tout. Le reste, selon le mot d’un ancien, n’est que jeu d’osselets dont on amuse les enfants des hommes. M. Guérin n’est pas un Harpagon ; c’est un madré, un ambitieux, un Poirier cam-