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LE THÉATRE D’HIER.

lité des mérites. C’est bien ainsi que l’Tentendit la bourgeoisie à son début. Mais où trouver un plus exact étalon du mérite que celui de la fortune laborieusement acquise et accumulée avec intelligence ? C’est une manière de noblesse, dont les titres sont au porteur, « qu’on ne doit qu’à soi-même », et qui n’a nul besoin d’aïeux. Ces quartiers-là ont sur les autres l’avantage d’embellir régulièrement la vie. Les âmes singulières peuvent dédaigner cette aristocratie ; mais elle est une force qui s’impose et ne se discute pas ; on en peut contester les origines ; sa puissance est hors d’atteinte. Elle ne relève que de la conscience ; et la conscience est faible, comme la chair. Il faut cire très certain de sa vertu et très confiant eu l’avenir pour dépriser la fortune sans ridicule ni fanfaronnade. Émile Augier venait à son heure. Où qu’il tournât ses regards, il rencontrait la question d’argent. La science, l’industrie, le commerce avaient pris un développement immense. Les chemins de fer mettaient les quatre coins de la France en contact. Et comme la vapeur était paresseuse, on inventait le télégraphe ; et comme le télégraphe était un peu lent, on fondait la Bourse. L’argent se reproduisait lui-même, dédaignant les longueurs du travail, et le capital vivait d’une vie propre, séparé de la véritable richesse. L’argent se remuait, se brassait, intriguait, agiotait, dans une société nouvelle, avec intempérance. Il faisait échec à la jeunesse, et commençait à ravager les consciences. Le monde de la finance était un terrain vaste et glissant, où Émile Augier, guidé par son bon sens hardi, prit fortement position. Il s’y établit, lui premier, d’une telle assurance qu’il a dévoilé avec acharnement tous les méfaits, toutes les tyrannies de la fortune, les concessions de l’honneur, les capitulations de la morale, les dangers suspendus sur la famille et sur l’État, et avec une opiniâtreté si clairvoyante que dans les scènes du présent il n’a que trop souvent lu les misères de l’avenir.