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ÉMILE AUGIER

monstrueuse adepte de l’erronée morale, au bruit de laquelle, toute petite, elle fut bercée. « Quels enseignements ai-je reçus, moi ? Que m’a appris ma mère ? qu’il faut être riche pour être heureux. Que m’a appris le monde ? qu’il faut être riche pour être considéré. — Les plaisirs et le luxe sont les dieux qu’on nous prêche de parole et d’exemple. » Aussi l’auteur s’est-il bien gardé de peindre la dépravation graduelle de Séraphine et de poursuivre l’intérêt physiologique, au lieu de s’attacher à l’intérêt social de son œuvre. Il ne s’est point fourvoyé à en déplacer l’axe, ni à en dénaturer l’émotion. Les plus fortes scènes sont des scènes de mœurs dramatiques ; et c’est pourquoi, en un sujet aussi scabreux, le réalisme est sobre, et presque édifiant. Le pathétique nait de la misère morale et de l’involontaire déchéance de ce malheureux Pommeau, et non pas de l’audace des situations ni des mots amers ou croustillants. Ne cherchez pas ici des « tranches de vie » découpées dans les spirituels dialogues de l’alcôve ; c’est la vie même, la vie secrète qui se complique peu à peu des mille embarras du luxe de la lionne pauvre ; c’est la porte ouverte aux figures louches, aux marchandes équivoques, aux billets renouvelés, aux complaisances onéreuses, aux angoisses des échéances, aux familiarités de la domestique, à la souriante insolence des amis riches et entreprenants, et à la reconnaissance du Mont-de-piété ; c’est, dans la demeure d’un homme probe et disqualifié, des froufous de toilettes tapageuses, des chuchotements de chiffres, des soupirs d’amour vénal et froid, des protestations à voix basse d’un dévoûment intéressé et de désirs à plein tarif. Il en mourra, le bonhomme, « réduit à ne plus compter avec la chute, tant la faute disparaît derrière l’énormité de la honte », doublement outragé dans ses illusions, deux fois percé au fond du cœur ; il en mourra après avoir pardonné, pardonné son désespoir, sa dégradation, pardonné l’irréparable chagrin