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LE THÉATRE D’HIER.

seulement le paie d’infamie, mais porte le déshonneur chez l’enfant d’adoption, cette Thérèse tant aimée, à qui elle ravit le bonheur, et dont elle accapare le mari ; — et dites si jamais plus noire et sincère peinture fut faite d’un mariage fatal, d’une erreur vertueuse et pitoyable, et qui ne se répare point !…

Vous n’y êtes pas encore. L’observation d’Émile Augier plonge plus profondément dans le trou fangeux des mœurs contemporaines ; et il en retire un sujet d’une autre envergure que le commun hasard d’une femme insensible et pervertie, qui s’y noie. Il étale la plaie de la prostitution dans l’adultère ; il perce et dévoile, sans faiblir, mais sans rien exagérer, le secret de ces ménages bourgeois, dont une fée industrieuse, et non plus du tout la modeste parcimonie de nos grand-mères, défraie les splendeurs et le bien-être que le monde a renoncé à mettre sur le compte du bon marché et des occasions rares, dont Paris a le monopole ; de ces ménages prospères sans enfants, où le mari sue, prenant sur son sommeil, une dizaine de mille francs, pendant que dame Séraphinette dépense ostensiblement le double ; où se paient « dix centimes les petits pains d’un sou », et puis « un sou les petits pains de dix centimes. » Ce n’est pas le gentil ménage Marneffe, où l’égoïste inertie de l’un est indulgente aux faiblesses avisées de l’autre. C’est le ravage des mœurs dans la maison, dans la vie, dans l’âme d’un honnête homme. C’est l’empoisonnement progressif d’une existence infime et supérieure, obscure et dévouée. Pommeau n’est pas uniquement frappé dans son affection ; il est mortellement atteint dans son honneur ; il boit la honte de cette créature. Et ne sentez-vous pas que voilà une pièce d’une autre portée que le vaudeville du vieux mari trompé ou le drame banal d’une femme qui tombe d’étage en étage, avec précaution ? Ici encore, c’est la société qui est mise en cause ; je ne dirai pas que Séraphine est la victime, mais assurément elle est l’inconsciente et