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INFLUENCES ALLEMANDES.

grand poète. Et non pas tant épars qu’entassés. L’imagination poétique semble parfois animer ces documents du règne de Maximilien. Chevauchées, sièges, assauts, scènes intimes et allemandes, mœurs du moyen âge, il paraît que le passé germanique revit sous l’impulsion de ce Gœtz épris de justice et de guerre, redresseur de torts et détrousseur de marchands. Il semble, il paraît ; mais cela ne vit point. La poésie n’en est pas absente, mais l’illusion et les proportions scéniques, et la composition aussi. Tout y est sur le même plan ; tout se développe parallèlement ; on compterait jusqu’à trois ou quatre fils de l’action, et l’on cherche l’action même. Ce sont des scènes de la féodalité, et non pas un drame féodal ; c’est de la chronique dramatisée, où le germe dramatique n’est pas venu à maturité. Quand Mérimée, qui imite Gœthe, et souvent de près, écrira la Jaquerie, ses prétentions ne dépasseront pas le livre.

Il y a dans Gœtz de Berlichingen deux figures de femme, qui eussent suffi à soutenir un drame : l’une ambitieuse et perfide, l’autre épouse soumise, Pénélope d’outre-Rhin, ou, pour emprunter le mot de madame de Staël : « telle qu’un ancien portrait de l’École flamande [1] ». Dans la première rédaction, Gœthe avait opposé l’une à l’autre, et mis au premier plan la première surtout, l’intrigante Adélaïde : il était sur la voie de l’intérêt scénique. Il s’est ravisé[2]. L’intérêt historique lui a paru le principal. Il s’est trompé au conflit des devoirs du dramatiste. Ce n’est pas Shakespeare qui lui en a donné l’exemple. Il a sacrifié à la curiosité qu’excite la reconstitution d’une époque l’émotion qui naît du spectacle de la vie même, dont l’histoire n’est

  1. De l’Allemagne, t. II, ch. xxi, p. 127.
  2. Mézières, op. cit., ch. ii, p. 93.