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INFLUENCES ANGLAISES.

Yaqoub, qui n’a pu mettre à profit ces menus talents, les cédera au bohémien Buridan[1]. Hassan, Hayraddin, le nègre, Yaqoub, Buridan, tout cela fait un assez plaisant ricochet d’imitations. Rien ne se perd, rien ne se crée. Et voilà au moins quatre romans, l’Abbé et


    FIESQUE.

    Et sans doute le Maure, aux lieux qui l’ont vu naître
    Etait riche et puissant ?

    LE MAURE.

    Non, il élait sans maître.

    Il pouvait à son gré s’égarer aux déserts
    On fendre, en se jouant, le flot grondant des mers.
    Il était libre alors, comme l’aigle intrépide
    Que sa flèche arrêtait dans son essor rapide.
    Libre comme le tigre, auquel mon jeune bras
    Disputait sa caverne et portait le trépas !
    Oh ! que de fols te Maure, au sein de l’esclavage,
    Dans un rêve trompeur retrouva son rivage,
    Sentit le flot s’ouvrir devant ses bras nerveux
    Et le vent du désert passer dans ses cheveux…

    (Manuscrit inédit de Fiesque de Lavagna, I, sc. ii.)

    On distingue dans ces vers les différents motifs du rôle d’Yaqoub, — la chasse, souvenirs du désert, poésie du Zingaro. Dans le texte de Schiller, le nègre dit seulement : « On ne peut pas me pendre plus haut que la potence. — Non, console-toi ; on ne t’accrochera pas aux cornes de la lune, mais pourtant assez haut pour que de là le gibet ordinaire te paraisse un cure-dents. » (La Conj. de Fiesque à Gênes, I, sc. ix, p. 221.) En sorte qu’au moment où il traduit le Fiesque de Schiller, Dumas se rappelle Walter Scott. (Cf. Quentin Durward, ch. xvi, p. 206 : « Sous les lois de qui vivez-vous ? — Je n’obéis à personne qu’autant que c’est mon bon plaisir. — Mais qui est votre chef ? Qui vous commande ? — Le père de notre tribu, si je veux bien lui obéir. Je ne reconnais pas de maître. — … Que vous reste-t-il donc ? — La liberté. Je ne rampe pas aux pieds d’un autre. Je n’ai ni obéissance ni respect pour personne. Je vais où je veux, je vis comme je peux, et je meurs comme il le faut » ; et passim dans les ch. xvi et xxxiv.)

    Si l’on songe que Scott a lu Schiller, que Dumas a lu l’un et l’autre, et qu’il avait d’ailleurs eu connaissance (voir ci-dessous, p. 203) d’une pièce entreprise sur le même sujet par Gérard de Nerval et Théophile Gautier, cela fait un agréable brouillamini.

  1. Quentin Durward, ch. xviii, p. 233, et xix, p. 261. Cf. la Tour de Nesle, II, tabl. iii, sc. iii, pp. 32-33.