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INFLUENCES ANGLAISES.

grossièreté du grotesque qui fait au symbolique et au merveilleux un pénible contrepoids. Le seul Caliban porte aujourd’hui sur ses épaules disgracieuses le fardeau de vingt et vingt volumes de commentaires, hideux gnome et personnification des instincts populaires pour plusieurs, tandis que d’autres se croient fondés à soutenir qu’il est simplement un cannibale. Métaphysique et caricature, il y a de tout cela dans la Tempête. Que penser de Cymbeline, aux yeux de Gervinus un pur chef-d’œuvre, où Johnson ne découvrait qu’un tissu d’absurdités ?

Mais Shakespeare n’était-il pas homme de théâtre, puisque théâtre il y a, à la fois auteur, directeur, acteur ? — Précisément : et l’on s’en aperçoit. Pour objectiver dramatiquement ses rêves ou ses intuitions, il a dû, faute d’une technique plus souple et aussi plus sévère, recourir à des moyens souvent médiocres. Ni sa sensibilité ni son esprit n’ont la même qualité que son imagination ou sa psychologie. Il rachète par la brutalité de l’émotion et la grossièreté de la verve comique cette liberté d’un génie sans contrainte et sans règle ; tant il est vrai que le théâtre, s’il n’est pas un simple guignol, est soumis à des lois générales et inéluctables. Il faut quelque relâche de terreur et de gaîté à ceux que fatiguerait un effort prolongé d’abstraction, de synthèse, ou d’invention. Je laisse de côté le romanesque des narcotiques, poisons, où Shakespeare ne semble atta-

    est le même par rapport à la scène et provient de la même cause. Cf. ibid., p. 211. « Il (l’auteur dramatique) comprend que ce n’est pas à la forme dont il s’est servi jusqu’à présent, que l’humanité demandera jamais la solution des grands problèmes… » Cf. Madame de Staël, op. cit., ch. x, p. 13 : « Shakespeare réunit souvent des qualités et même des défauts contraires ; il est quelquefois en deçà, quelquefois en delà de la sphère de l’art ; mais il possède encore plus la connaissance du cœur humain que celle du théâtre… »