Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/68

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

est un peu trouble, et ne s’enchaîne pas en l’esprit. Et je sais d’expérience qu’on y découvre de rares beautés et un problème moral qu’il fallait une admirable intelligence pour poser seulement — et qui peut-être ne se pouvait résoudre sur la scène. Car cette profondeur s’achète. Il m’a plusieurs fois semblé que de la représentation d’Hamlet se dégage surtout un pathétique douloureux pour les nerfs, une angoisse de la raison, qui est comme la rançon de cette curiosité sans bornes, de cette double vue plus qu’humaine.

Qu’il observe le tréfonds de l’âme ou qu’il imagine à sa fantaisie, on dirait que Shakespeare écrit pour son contentement, pour la joie de son génie, qui est admirable encore un coup, mais tout à fait insoucieux de nos courtes intelligences et du théâtre fait pour elles. Je ne tiens pas la Tempête pour une œuvre médiocre, comme fait Stendhal[1]. Ce n’est point que, cette fois, la philosophie tranche dans le vif de l’originalité. Que l’humanité ne soit pas parfaite, qu’il faille éclairer les bons et convertir les coupables, Shakespeare ne l’a pas inventé ; et, après lui, Pixérécourt a pu nourrir de ces idées-là. Ce qu’on ne saurait trop louer, c’est l’imagination qui tire de ces choses des prestiges inconnus, qui enchante les yeux, les oreilles, l’esprit et le cœur des hommes, qui mêle à une poésie luxuriante des réalités très anglaises, et qui place en un décor digne, par sa fraîcheur, de la création du monde l’âme toute neuve de Miranda. Mais ce qu’il faut pourtant reconnaître, c’est la puérilité d’une partie de ce merveilleux philosophique, c’est l’obscurité des abstractions[2], c’est la

  1. Racine et Shakespeare, partie II, lettre iii, p. 175.
  2. Il faut tenir compte, bien entendu, des différentes époques où Shakespeare a écrit ses pièces. Vers la fin, il inclinait volontiers aux abstractions. Cf. préface de l’Étrangère d’A. Dumas fils (t. VI, pp. 211-213). Mais réalisme ou métaphysique, l’excès