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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

Des jeunes filles passionnées qui se glorifiaient hautement de leur passion ; des femmes coupables et volontiers bavardes sur le chapitre de leurs fautes, sans ombre de remords ou de regret ou même de plaisir ; l’adultère avant, après, et pendant, ardent, froid, enthousiaste, impassible, criminel, officiel, régulier, et las, surtout las ; et combien de demoiselles, qui étaient des femmes, et même quelques femmes, qui étaient encore demoiselles. Mais nous attendons toujours un spectacle inédit dans un théâtre d’ordre : une pièce de Shakespeare qui ne soit pas adaptée.

Les novateurs qui vont, chez nous, invoquant ce dieu[1], ne songent pas que s’il avait eu à sa disposition une mise en scène moins rudimentaire, il eût été moins libre, mais aussi moins barbare. Quand il déshonorait « avec cinq ou six fleurets émoussés le glorieux nom d’Azincourt[2] », il profitait de moyens sommaires pour jeter sur la scène des épisodes qu’il en eût sans doute écartés cent ans après. L’admirable, c’est le génie qui supplée par son invention à cette liberté même, laquelle n’est que pauvreté de ressources techniques. De là ces continuels changements de lieu, dont le public s’accommodait comme de l’insuffisance du décor, mais qui sont tout de même insuffisance de composition et nuisent à la netteté de l’ensemble, à l’unité de l’impression définitive. L’usage de la machinerie moderne ne fait qu’accuser davantage cette impuissance, s’il ajoute à la diversité du spectacle.

Il fallait que Shakespeare se dépensât tout entier, pour ne pas succomber sous cette liberté négative. Ces

  1. Théâtre, t. I, p. 15. « Ô Shakespeare, merci ! Ô Kemble et Smithson, merci ! merci à mon dieu ! merci à mes anges de poésie ! »
  2. A. Mézières, Shakespeare, ses œuvres et ses critiques, ch. ii, p. 55. Citation du chœur de l’acte I de Henri V.