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L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

félonie de Fiesque et lui envoie, avec le délateur, une lettre où il lui dit :

Quel que soit ce complot que ton grand cœur hasarde,
Cette nuit, Lavagna, je dormirai sans garde[1].


D’abord Fiesque est désarmé par tant de grandeur d’âme ; puis il songe qu’il peut sauver à la fois la liberté de Gênes et la vie du doge, et l’acte se termine sur la scène raturée plus haut. Tout est prêt pour le bon combat.

Ainsi, ce révolutionnaire (c’est Dumas que je veux dire), qui va se ruer sur la tradition, est imbu de tragédie. La Conjuration de Fiesque le séduit par ses violences passionnées. Le barbare s’en délecte. Et les mêmes scènes, dont se repaissent ses appétits sensuels et intellectuels, il les traduit avec une sagesse qui étonne, et comme s’il avait du goût. Il bouleverse la composition ; il adoucit l’expression. Le sens du théâtre le guide. Dans ses pires brutalités, il sera toujours un audacieux avisé. Il ne dit point à Julia « qu’elle est un bon morceau de chair féminine » ; il l’appelle déjà une faible femme

 
à qui le ciel fit don
De quelques agrémens, de trop d’étourderie[2].


Si Fiesque la surprend dans un appareil un peu simple, il ne pousse pas ainsi le marivaudage : « La femme n’est jamais aussi belle qu’en toilette de nuit. C’est le vêtement de son rôle[3]. » Il s’inspire de Racine, rajeuni par l’abbé Delille, et traduit gracieusement :

Le négligé pour vous, c’est l’habit de conquête.
Que ne puis-je vous voir, au moment du réveil,
Lorsqu’un léger désordre accuse le sommeil,

  1. Manuscrit inédit, IV, sc. viii.
  2. Ibid., III, sc. iv.
  3. La Conjuration de Fiesque à Gênes, III, sc. x, p. 291.