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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

que lui laisse son double rôle de conspirateur et de débauché, fait aussi le personnage de Fiesciue-Othello. « Dieu, ma tête ! ma tête[1] ! » dit Verrina, homme simple.

Le caractère de Fiesque est composé comme la pièce, et pareillement obscur. L’équivoque, pour être voulue, n’en est pas plus dramatique. Quand Shakespeare nous montre la volonté indécise d’Hamlet, et le mystère de cet esprit, et cette folie feinte, toute proche de la véritable, il descend en cette âme trouble avec une lanterne allumée : il projette des mots lumineux sur les détours du dédale. Et si quelques ténèbres voilent encore cette ligure aux yeux de plusieurs, dont je suis, c’est que sans doute n’était-il point possible d’objectiver en plein jour ce tréfonds de l’âme humaine, à ce point vaine et inconsistante, et voisine de la démence. Fiesque joue ce jeu difficile en dedans. Il exerce son courage par les plaisirs ; il trempe sa volonté dans la débauche. C’est un rôle, qu’il soutient le plus longtemps qu’il peut. Tout le monde est dupe, le doge, le neveu du doge, la nièce du doge, sa propre femme, les conjurés, le peuple, dont il recueille avec joie les méchants propos. Ici, je ne comprends plus. Pourquoi Gênes s’obstine-t-elle à voir en lui un messie ? Qu’a-t-il fait pour un pareil crédit ? Il n’est ni Othello ni Egmont. Passe encore pour cet engouement populaire, qui ne raisonne point. Mais pourquoi les conjurés ? Pourquoi Verrina ? Pourquoi l’austère républicain se tourne-t-il désespérément vers Fiesque débauché, quand il brûle de venger l’outrage commis par la débauche ; vers Fiesque railleur, inerte, amolli, pour sauver la liberté de sa patrie par un coup de main ? Ne serait-ce

  1. La Conjuration de Fiesque à Gênes, I, sc. x, p. 227. Théâtre de Schiller. Traduction nouvelle de Ad. Regnier, Paris, Hachette, 1881, t. I.