Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
411
DUMAS PÈRE ET DUMAS FILS.

Il y aurait place ici pour un parallèle en forme que je laisse aux La Harpe de demain. Dumas fils fut de son propre fonds assez original pour qu’on puisse marquer, sans nuire à sa gloire, ce qu’il doit à son père. Il lui est redevable de son tempérament audacieux, de


    la jeune fille bourgeoise et la société contemporaine. Ce que j’en ai pu entendre était d’une imagination et d’une beauté audacieuses.
    Il va sans dire que la passion, pour mettre ces hautes conceptions en valeur, faisait rage. Je me souviens d’une scène, où La Troublante, recherchée par un M. Dominique, qu’elle avait refusé pauvre et qui était devenu riche, et ne voulant pas se « vendre » en mariage (car, disait-elle ou à peu près, lorsqu’une femme se vend, elle ne doit vendre d’elle que ce qu’elle peut reprendre), venait d’essuyer une décharge de revolver dans la rue. Elle disait que le juge d’instruction l’avait interrogée comme une voleuse, et puis lui avait fait des propositions comme à une fille. Puis elle demandait à Mathias du poison. Et le savant médecin, Didier, l’aimait ; et elle offrait à Mathias d’être son camarade dans la vie ; et Geneviève, la douce jeune fille, aimait Mathias…
    C’en est assez de ces souvenirs, pour faire voir que La Troublante, qui semblait un effort admirable de raison pure, mettait en œuvre la passion et l’invention des Dumas. Et je vois encore le bon dramaturge, en son cabinet de Marly, le coude appuyé sur sa table, sa tête blanche, si énergique et expressive, baignée d’une pâle lumière, lisant avec bonhomie et fermeté la scène du matérialiste Mathias avec Miliane, et coupant les théories savantes de remarques personnelles, où la fantaisie s’envolait par delà le connu et le visible. Je songeais à Fritz Sturler, à l’épilogue du Comte Uermann, à Antony, cependant que de chaque côté du foyer souriaient les visages épanouis de Balzac et de Dumas père, formant avec l’auteur de La Troublante une vigoureuse trinité.
    La Troublante sera-t-elle jamais représentée ? — Mais Francillon, la dernière pièce jouée de Dumas fils, dont il a conté les origines (Th., t. VII, Notes sur Francillon, pp. 395 sqq.), doit peut-être son principal moyen scénique à une nouvelle du père, un Bal masqué (Souvenirs d’Antony, pp. 171 sqq.). Il connaissait à fond les moindres ouvrages paternels ; on ne lira pas sans intérêt ces quelques pages, où Francillon semble ébauchée, où la loi du talion est appliquée jusqu’au bout.