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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

et semble heureux : Antony énigmatique et riche, mais de la fin du siècle[1].

À vrai dire, ni Nourvady n’est Antony, ni Lionnette Adèle, ni le génie du fils ne s’absorbe en celui du père.

  1. La Route de Thèbes, ou plutôt La Troublante (Dumas fils s’était à la fin arrêté à ce titre), était un ouvrage du genre de la Femme de Claude, de l’Étrangère ; ce que l’auteur m’en avait dit et lu, la manière aussi dont il en parlait, vient à l’appui de ce chapitre. La pièce n’a pas été publiée, conformément à ses dispositions testamentaires. Mais peut-être n’est-ce pas outrepasser sa volonté que de donner, au point de vue qui nous occupe, quelques renseignements précis sur une œuvre à propos de laquelle ont été imprimées beaucoup d’erreurs ou de suppositions erronées.
    Didier, médecin, est un savant et un homme de génie, un homme supérieur (voir Antony). Il s’est marié trop tôt à une brave femme incapable de le comprendre, mais qui lui a donné une bonne fille, Geneviève. Didier a un élève de prédilection, Mathias, matérialiste décidé comme son maître, qui ne croit pas à « l’âme », et dont je me rappelle ces mots : « J’ai déjà vu, disait-il à Geneviève, des cerveaux sans pensée, mais jamais de pensée sans cerveau », et, dans la même scène de l’acte I : « Si je te donnais un violent coup de bâton sur le cerveau, que dirait ton âme ? » — « Elle le pardonnerait ». répond Geneviève.
    Dans cette famille ainsi composée d’hommes supérieurs et de femmes de cœur simple arrive La Troublante, Miliane, qui y reçoit l’hospitalité avec sa mère. Autrefois riche, le père était mort laissant sa femme et sa fille dans la gêne. Et Miliane a conservé un amer souvenir des leçons de piano, des omnibus avec la correspondance. Elle a vingt-deux ans, l’âge où la femme est « toute-puissante ». Elle répand autour d’elle je ne sais quel charme irrésistible. Elle aime le luxe, elle est à la recherche du bonheur ; elle a des idées à elle, nullement routinières, et beaucoup plus que le commun des hommes. Elle va à son but par des moyens qui étonnent. C’est la beauté et l’intelligence réunies. Et c’est la femme. On voit les ravages que peut faire autour d’elle cette superbe créature de libre esprit. On voit le drame, c’est-à-dire les êtres supérieurs, affranchis des préjugés sur le mariage et autres, aux prises avec des âmes tout unies. Et l’on devine la portée symbolique de la pièce : matérialisme et nature, esprits forts et cœurs croyants, la chair et la foi. Dumas fils avait mis en cette œuvre le meilleur de lui-même, ses idées sur la science, la religion, sur le mariage, la société, la femme,