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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

sert de moyen. Mais l’Étrangère nous attire, en qui l’ame du vieux Dumas revit avec ses prouesses d’autrefois. Son imagination énorme[1], — non pas uniquement celle qui créa les situations et le dénoûment de Madame de Chamblay ou rencontra l’épilogue philosophico-toxicologique du Comte Hermann, mais aussi celle des premiers jours, de Richard Darlington, d’Angèle, de Paul Jones même, et encore de Monte-Cristo, celle qui se plaisait à l’anxiété des émotions accablantes ou aux luxuriantes sensations des Contes des mille et une nuits, — anime ce drame chimique et passionnel. Cela fait un mélange de lyrisme dialectique, d’invention romanesque et de froide observation, d’amour et de cornues, de théories de laboratoire et de chapitres de Fenimore Cooper. Le mélodrame semblait ressusciter pour des destinées plus hautes.

Si Dumas fils a écrit des pièces plus fortes, nulle part il n’a tendu le pathétique davantage. Même je commence à croire que Dumas père ne fut jamais romantique à ce point. Mais ces deux dramaturges sont également étonnants de lucidité dans l’invention. Pour animer ses formules scientifiques, il fallait à Dumas fils des passions véhémentes ; des acides violents pour « dégager » ses « combinaisons[2] ». Il savait où trouver son affaire. Quand l’auteur distribua ses rôles, il choisit à dessein les deux interprètes modernes du drame de 1830 : madame Sarah Bernhardt et M. Mounet-Sully, — Dorval et Bocage. Et périssent les préjugés ! Et malheur à la société mal faite ! Et vive l’amour éternel, l’amour

  1. Dans la conversation, Dumas fils avait souvent de ces échappées de fantaisie, par bonds. Un jour, à propos d’une mesure politique qui faisait quelque bruit : « Qu’importe tout cela, me dit-il, si dans cent ans on va de Paris au Pôle Nord en un quart d’heure ? »
  2. L’Étrangère (Th., VI), II, sc. i, p. 252 et passim.