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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

n’a été vaine dans sa carrière. Elles se sont prolongées sous forme d’adaptation ou de traduction. Il avait vu surtout dans Hamlet des situations et des scènes : la plate-forme, l’éventail, les deux portraits, la folie, le cimetière…[1]. De la représentation de cette pièce se dégage une manière de pathétique ambigu et douloureux (dont la brutalité est très inférieure, je pense, à la conception profonde de l’œuvre), sans compter l’abus d’une terreur presque physiologique, qu’on trouve déjà dans les Choéphores, et dont Dumas dut être remué en effet. Ce don d’ébranler les nerfs et de prendre le public à la gorge, qui est la barbarie de Shakespeare, sera toujours aux yeux de Dumas la plus forte marque de ce génie. Même il n’est pas assuré qu’il y ait vu bien d’autres choses. Il suffoque, il étouffe d’admiration. Il avait aussi, pour le confirmer dans ces émotions vives, Frederick Lemaître et Dorval, qui parurent ensemble dans Trente ans ou la vie d’un Joueur de Ducange et Goubaux, avec un grand succès. C’était un mélodrame violent, fort bien conduit d’ailleurs, et dont le dénoûment était emprunté de le Vingt-quatre février, de Werner. En souvenir des rudes impressions qu’il en rapporta, Dumas traduira un jour Werner, ne pouvant traduire Ducange ni Goubaux. Il parlera de cette soirée dans ses Mémoires sur le mode lyrique : « Le drame populaire avait son Talma ; la tragédie du boulevard avait sa mademoiselle Mars[2] ». Il lui manquait son Corneille ou son Beaumarchais. La place était bonne à prendre.

Ici encore, le hasard ne sert pas mal Dumas. Les amitiés de rencontre lui ont été profitables. Il apprend la physique, la chimie, un jeu de physiologie et d’anatomie, sur le conseil d’un médecin nommé Thi-

  1. Mes mémoires, t. IV, ch. cix, p. 280
  2. Ibid., pp. 278-279.