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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

« tandis que moi[1] », que nous connaissons ; c’est la scène des « enfants trouvés » d’Antony que nous en avons déduite. Kean est bien frère de Richard Darlington et de Buridan. Il ne prétend pas à émarger sur les registres de l’État ; mais il ne veut plus être le jouet des aristocrates. Nom pour nom, dent pour dent. Et, s’il ne s’agit plus de thèse sociale, voilà au moins l’individualité moderne avec tous les appétits débridés. Kean a une bonne part de son génie dans ses muscles. Il a fait la culbute. Il fait le coup de poing. Après une vie d’orgie, il reprend sa lucidité et son sang-froid, comme s’il revenait d’une visite à la Tour de Nesle. Il semble que dans les rôles de Shakespeare qu’il interprète, il mette surtout en lumière l’animal humain[2]. Son triomphe est le personnage d’Othello ; mais il réussit fort dans celui de Roméo. Partout, chez les bateleurs, parmi la bourgeoisie, dans la noblesse, il traîne tous les cœurs après lui ; et la personne suit le cœur. M. Kean a opéré des cures merveilleuses. Des jeunes filles chlorotiques, nerveuses, mélancoliques et presque muettes, ont retrouvé la parole et la santé aux spectacles de Drury-Lane. Le premier sentiment des malades est presque « douloureux » ; mais quand Kean paraît, elles tressaillent, puis demeurent « immobiles comme la statue de l’étonnement », et reviennent à leur hôtel « toujours froides et silencieuses pour tous, mais déjà ranimées et vivantes au cœur[3] ». Une loge de consultation est adjointe à la scène pour le traitement de ces affections. Kean est doué d’un génie désordonné, fatal, mais thérapeutique. Et c’est l’enfantillage de Dumas qui s’abandonne ; mais c’est aussi la suite de Figaro, le vivant commentaire du petit animal folâtre, grisé d’honneurs et d’applaudissements,

  1. Kean, III, tabl. iii, sc. xiv, p. 158.
  2. Kean, III, tabl. iii, sc. xii, p. 153.
  3. Kean, III, tabl. iii, sc. xii, pp. 152-153.