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LES SUITES D’« ANTONY».

des passions jusqu’à la lie. Certes, il ne paye ni son propriétaire ni ses créanciers, à l’exemple de Chatterton. Il serait un homme du commun, s’il fléchissait à ces misères de la probité. Mais si Dumas s’est peint dans Kean, s’il y a retracé avec quelque complaisance les traits généraux de son caractère, bonhomie, gaîté, santé, force musculaire, exagération en tout et mépris de la critique, Kean, du moins, n’exige pas de l’État une pension alimentaire, en attendant qu’il songe à une nouvelle interprétation de Roméo. Et, comme l’auteur est trop dramatiste dans les moelles, pour se réduire volontairement au lyrisme sur le théâtre ou y distiller l’esprit amer, — en dépit de ses enfantines conceptions du génie[1], de son drame à outrance, de ses péripéties en cascade, et de ses prouesses, il a mis dans Kean quelque chose qui nous intéresse présentement davantage. Son talent dramatique l’attire, en dépit qu’il en ait, du côté de la vérité.

Malgré ses fanfares et ses fanfaronnades, au milieu de ce tumulte d’action, Kean n’oublie pas ses origines. Écoutez son style : « Oui, vous avez raison, il y a trop de distance entre nous. Lord Mewill est un homme honorable, tenant à l’une des premières familles d’Angleterre… de riche et vieille noblesse conquérante… si je ne me trompe. Il est vrai que Lord Mewill a mangé la fortune de ses pères en jeux de cartes et de dés ; il est vrai que son blason est terni de la vapeur de sa vie débauchée et de ses basses actions… et qu’au lieu de monter encore il a descendu toujours. Tandis que le bateleur Kean est né sur le grabat du peuple, a été exposé sur la place publique, et ayant commencé sans nom et sans fortune……, etc. » C’est le

  1. On en fit une parodie : Kinne, ou que de génie en désordre ! variété en quelques couplets. Paris, chez l’éditeur, rue du Bas, 26, 1836, in-8, 12 pages.