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LES SUITES D’« ANTONY».

tentions à la sagesse et de l’amer verbiage de ce vieil homme ! » Quant à John Bell, c’est John Bull, une caricature, pour le contraste. Sur sa tête s’amassent tous les mépris destinés au bourgeois ; son visage rouge, « gonflé d’ale, de porter et de roastbeef[1] » excite la verve sénile du Quaker. Et pourtant ce brutal, ce dominateur, ce jaloux répond au radoteur des choses sensées, et tient à ses ouvriers en grève des propos qui ne sont pas méprisables. Il n’entend pas qu’on détourne sa femme ni qu’on brise ses machines[2] : et il prétend que chacun paye par le travail son écot au banquet de la vie. Âme de brute ! — Il faut descendre jusqu’au Michel Pauper de M. Henry Becque dans la lignée des œuvres fausses, pour trouver ce parti pris d’esprit aigu et à côté.

Reste que ce drame de la pensée vaut surtout par la passion naïve du personnage de Kitty Bell. Le type est d’un poète, sans échapper absolument à la convention romantique. La « vierge maternelle de Raphaël[3] », escortée de ses deux enfants, les baisers d’amante qu’elle leur donne, la faible femme et la mère ne s’écartent pas autant qu’on croit de la poétique de Victor Hugo. Elle est d’un poète, qui a seulement plus d’illusions. Mais, je le répète, Kitty Bell, âme idéale et simple, douce et inquiète, en qui l’amour naît de la charité, cela fait une beauté touchante. Et l’ouvrage, qui n’est ni un drame à idées justes, ni un drame d’observation ou d’intuition, ni même un drame, cette élucubration que gâte le sophisme et glace l’ironie, a pu séduire les cœurs sensibles ou las par cette passion

  1. Caractères et costumes, p. 16.
  2. Pour mettre le sceau à l’odieux du rôle, Alfred de Vigny lui prête une attitude équivoque en présence des jeunes roués, qui parlent effrontément à sa femme devant lui.
  3. Sur les représentations du drame, p. 85.