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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

il se fait une tête, comme les « Jeune France » à la première de Hernani. L’excentricité sent son fils de bourgeois et son petit génie.

Au reste, toujours prêt à l’action et bondissant. Tous moyens lui sont bons. Il arrête les chevaux emportés ; il casse les vitres ; il est gaillard et énergique à toute réquisition. Il ne dément pas la race de l’Horatius Coclès du Tyrol. Musset a beau plaisanter[1] : il a toute sorte d’esprit, saut celui d’Hercule. Antony compte d’abord sur cet esprit-là. Il y a dans son amour une frénésie de possession, un déchaînement des sens, et une superbe de l’animal conquérant, une gloire de l’assaut, qui ne se repaît ni de dilettantisme ni d’analyse. L’imagination française ne répugne pas à ces triomphes ; et je pense que ce ne fut pas la moindre cause de l’enthousiasme qui salua Antony, même aux loges de balcon[2]. Aux yeux de Dumas, c’était la plus belle victoire de l’individualisme[3].

Antony a d’autres mérites, et aussi d’autres illusions, qui sont propres à notre siècle. Il a étudié les arts, les langues, la science ; il est jeune, et il a « tout étudié, tout appris[4] ». Le Fils naturel ne le lui cédera point.

  1. Voir plus haut, p. 312, note 2. — On pourrait établir un parallèle dans les règles, entre Octave de la Confession d’un enfant du siècle et Antony. Tous deux sont fous et torturent une malheureuse femme ; tous deux s’acharnent, mais l’un à la possession, et l’autre à l’analyse. Nés dans une même atmosphère d’imagination, ils diffèrent d’abord par le tempérament.
  2. Théophile Gautier, Histoire du romantisme, p. 167.
  3. Voir les Morts vont vite, t. II, Alfred de Musset, pp. 85 sqq., où il est manifeste que Dumas est dans un continuel étonnement en présence du cas psychologique de Musset. Cf. Mes mémoires, t. VII, ch. clxxv, pp. 182-186, où il s’étonne tout autant des communions spirituelles de Vigny avec Dorval, et des « petites élévations ».
  4. Antony, II, sc. v, p. 187.