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ANTONY.

encore produit leur plein effet ; que la céleste créature, ainsi chantée et divinisée, va prendre cet encens pour un culte et son personnage de déesse au sérieux ; et que le jour où Dandin, enfin éclairé par les caprices de l’idole, entreprendra de réagir, il ne sera plus que Dandin et viendra trop tard dans un siècle déjà trop vieux. Et puis, Adèle est chrétienne, moins dans la pièce que dans le manuscrit ; mais elle l’est, elle prie Dieu, et meurt avec résignation. Les autres ni ne prieront ni ne mourront — volontairement du moins. Car la religion, selon le mot de Vigny, « s’en est allée en plaisanterie, fondue avec le sel attique dans le creuset des philosophes[1] ». À bientôt le pistolet, le commissaire, et le joli jeu de la loi. Ce sont de beaux dénoûments en perspective, à mesure que l’intérêt social va se faire place sur le théâtre et la question du mariage se discuter plus à fond et plus explicitement. Les dramaturges, dont la femme adultère est la souveraine providence, salueront en Adèle le prototype.

Le rôle d’Antony est plus fantastique. Ou mieux, il est double ; il y a deux hommes en lui, tous deux mis au point du goût public. Ai-je besoin de redire que le plus lyrique n’est pas le j)lus original ? C’est un frère jumeau de Didier, en bottes molles, et qui évoque moins des sentiments que des lectures à la mode : très inférieur, quoique plus théâtral, à chacun des types littéraires qu’il reflète et traduit à la grosse. Il réunit en soi tout le chapitre des imitations exotiques ; il est, à lui seul, Hamlet, Fiesque, Franz, Werther, Lara, le giaour, à la bonne franquette. Il brandit tous ses souvenirs. Il porte à la force du poignet tout un musée de

  1. Quitte pour la peur, sc. xii, p. 251. Voir toute la tirade. On ne s’étonnera pas que ce soit de Vigny qui ait écrit la page à écrire sur le mariage en 1833, dans son unique chef-d’œuvre de théâtre.