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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

la femme toute neuve, la femme idéale et improvisée du xixe siècle, qui remplaçait inopinément duchesses et marquises, étant placée très haut dans l’admiration politique des démiurges et la vénération bourgeoise des poètes, était d’autant plus menacée par les désirs des hommes, malgré la protection à double tranchant des lois. Grâce à sa sensibilité effrénée et à son imagination peu timide, il a du premier coup jeté le drame moderne dans le courant de la passion populaire. Un frisson de sensualité et d’angoisse a secoué les spectateurs pendant les représentations d’Antony : la société nouvelle y venait de prendre conscience de ses penchants et de l’état social où ils la devaient entraîner : c’est-à-dire le règne du positivisme et du code, que le théâtre peindra plus tard, après 1850[1]. En attendant, l’adultère est maître de la scène, et n’en sera pas délogé de si tôt. Dans la Mère coupable, Beaumarchais l’avait amené au seuil de la famille nouvelle[2]. Il se contente encore ici d’une chambre d’auberge ; mais ni les palais ni les hôtels de la bour-

  1. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 120. Voir le commentaire d’Antony, et la différence du cocuage au xviie siècle et de l’adultère au xixe : « Le code civil . Bon ! que vient faire ici le code civil ? etc. » Dumas pose assez bien la question , quoiqu’à moitié. L’adultère au théâtre est désormais une question sociale, beaucoup plus que morale ; il met en discussion l’état de la femme dans la société nouvelle. Cf. notre Théâtre d’hier, Alexandre Dumas fils, § V, pp. 159-182, et Henry Becque, § III, pp. 426-427. Le théâtre contemporain évolue en ce sens. La question y est de plus en plus présentée comme sociale. Voir les Tenailles de M. Paul Hervieu ; le Partage de M. Albert Guinon.
  2. La Mère coupable, IV, sc. xiii. J. Janin observe judicieusement (Histoire de la littérature dramatique, t. VI, p. 311) « que Beaumarchais a mieux aimé tuer son joli page que de nous le montrer quand la belle comtesse a succombé ».
    Il est vrai que le même J. Janin affirme (ibid., p. 162) qu’Antony est un pastiche du Fils naturel de Diderot. Pour un critique dramatique, l’affirmation est au moins hasardeuse.