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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

longer la portée ? Ce capitaine, qui cherche fortune, nous le retrouverons dans le civil : portant haut, beau parleur, effronté, politicien, journaliste, coulissier, l’aventurier qui ne craint rien, ni surtout que le ciel tombe. La prison lui sera toujours un écueil ; car il lui sera plus facile d’y entrer que d’en sortir. Buridan a sur ces espèces l’avantage de la naissance et d’une certaine générosité de la lame, que les autres, petits-fils d’intendants ou bâtards d’apothicaires, n’apprécieront point[1]. Mais déjà il est un garçon avisé, suffisamment sceptique pour réussir, et athée[2] sans ostentation. Pour la galanterie, il en a, mais pas plus qu’il n’en faut, et jamais contre ses intérêts ni de façon à se barrer l’avenir. À l’âge de quinze ans, Roméo a déjà la prudence de mettre sous clef les pattes de mouche des petites filles riches et délurées[3]. Cela peut servir à sa fortune. Il n’hésitera pas, le jour venu, à les utiliser. Qu’on ne nous dise point qu’il faut bien sauver sa vie. Il les gardait par devers lui ; elles ont fait campagne avec lui dans son portemanteau. À peine débarqué à Paris, il les cache secrètement, comme un trésor. Il comptait sur elles ; il les escomptait, comme des lettres de change. La Tour de Nesle n’est pas pour lui un guet-apens, mais une échéance.

C’est d’ailleurs le même homme qui reproche à Marguerite ses nuits voluptueuses. Il se fait justicier ; il est le bras de Dieu. Il est très fort. Au fond, il connaît ou devine la femme moderne, telle que la bourgeoisie est occupée à la façonner depuis le début du siècle, reine et faible femme, faible de caractère, s’en-

  1. Voir le dénoûment de la Contagion et le duel de d’Estrigaud.
  2. La Tour de Nesle, II, tabl. iv, sc. ii, p. 38.
  3. Cf. le Demi-Monde (Th., III), II, sc. v, pp. 126-129. Cf., plus bas, p. 363.