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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

Qui ne voit l’analogie entre les deux sujets ? Mais qui ne voit la différence fondamentale ?

Dumas n’écrit pas un drame d’action. Qu’écrit-il donc ? Dans Horace, l’amour de la patrie illumine le théâtre ; les personnages et toutes les grandes scènes en reçoivent leur lumière. Le reste est relégué dans la coulisse, c’est-à-dire le drame militaire, qui se déroule dans la campagne de Rome. Que de beaux coups d’épée avant l’armistice ! Que d’événements à représenter et à conduire ! Quels tableaux que celui du tirage au sort et celui du serment ! Et le duel, ce duel à trois contre trois, autrement pathétique que celui du Cid, puisqu’il s’agit ici, non plus d’intérêts particuliers, mais de Rome même : quel tableau, quelle situation dramatique et d’un effet assuré ! — Mais Corneille écrit une tragédie ; de tous ces événements, situations, péripéties, il ne nous représente que les effets sur les âmes ; il ne met en scène que la crise domestique et psychologique. Il tue Camille, mais à la cantonade, et termine une peinture du cœur humain, œuvre d’analyse, par un cinquième acte de dissertations analytiques sur la valeur morale des sentiments que pendant quatre actes nous avons vus paraître. Voilà la tragédie, voilà l’unité rationnelle, la raison maîtresse de l’imagination dont elle triomphe jusque dans le sobre décor du théâtre ; et voilà des types généraux, sinon symboliques, qui représentent, non pas la tente du désert ni le donjon féodal, mais des caractères et des sentiments universels ; dont le contraste n’évoque pas une image ni des couleurs à notre fantaisie, mais le fonds même de la vie et de la nature humaine dans le feu de l’action intérieure. Parce que Dumas a verrouillé sa pièce dans les trois unités, il pense avoir écrit une tragédie. « Cur non ?[1]… »

  1. Épigraphe de la préface de Charles VII.