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L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

boyantes et grandioses, où l’Orient se mêle à l’Occident, les immenses tableaux de batailles aux aventures fantastiques, tout cela frémissant de mouvement et de vie, illuminé de la gloire de ce capitaine qui n’est plus et que l’humaine superstition a soumis, en le consacrant, au merveilleux et à la fatalité des immortelles épopées. En sorte que Madame de Staël, qui écrivait, dès l’année 1810 : « La tendance naturelle du siècle, c’est la tragédie historique[1] », ne formulait qu’une demi-vérité, la tragédie étant un art trop sévère pour assouvir ces imaginations impatientes, et l’histoire une science trop inflexible et précise pour cette poussée de passions de tête qui débordaient. Elle notait aussi, et avec plus de justesse : « Nos plus belles tragédies en France n’intéressent pas le peuple[2] ».

Car c’est à lui qu’il faut plaire désormais. Il est en passe de devenir tout. On le lui dit d’abord ; et il le pense. Essayez de le prendre, après qu’il a passé partant d’événements, et qu’il en a conté ou rêvé tant d’autres, au leurre admirable de la tragédie psychologique. Il y reviendra, plus tard, quand il sera la bourgeoisie, la flamme de son imagination une fois éteinte, et lorsqu’il aura senti (au delà du nécessaire) l’inanité des rêves épiques et la vanité du génie d’aventures. Mais, à cette heure, il est épris de ses souvenirs et de ses songes ; il veut voir sur le théâtre mouvement, situations, passions, du rire, des larmes, en liberté, de la gloire, des deuils, tout mêlé, tout grandiose, comme lorsque fermant les yeux il songe ou se souvient. La couleur historique lui plaît, comme un décor, et pour la joie de l’imagination, toujours. L’exotisme sera bienvenu ; il rappellera l’Europe traversée au galop. Pour les coups

  1. Madame de Staël. De l’Allemagne, t. II, ch. xv, p. 15 (édit. Nicolle, 1818).
  2. Ibid., p. 14.