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LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

une œuvre qui soit au point de la scène et du public. Le dialogue, qui ne réunit pas ces conditions, est, au regard du théâtre, un papier neutre et anonyme. Sa destinée est au pouvoir de celui qui en tire la comédie ou le drame. On apporte à M. Victorien Sardou un mélodrame noir qui se passe sous le premier Empire : de qui est Madame Sans-Gêne ? Encore un coup, il ne s’agit pas ici des droits d’auteur, mais du droit d’être l’auteur aux yeux de la critique et dans l’histoire de cet art. Pour un dramaturge, le cas n’est aucunement douteux[1]. Corneille a eu par devers lui de notables écrits, signés de Guilhem de Castro ou de Tite-Live. Il fit le Cid ou Horace, et fit bien.

Quelque temps avant de mourir, Dumas fils, reprenant la question, allait plus loin. « Supposez, dit-il, un jeune homme ayant eu l’idée d’Antony, ayant exécuté quatre actes trois quarts, tels qu’ils sont dans la pièce que vous connaissez ; mais il n’a pas le dénoûment. Il apporte ces quatre actes trois quarts à Alexandre Dumas, et lui demande comment on peut terminer un pareil drame. Alexandre Dumas trouve : « Elle me résistait ; je l’ai assassinée ». La pièce est de lui[2]. » Cela paraît dur à entendre. Il y faut pourtant souscrire, pour la raison que, malgré l’avis de certains critiques plus subtils que perspicaces, le dénoûment étant l’âme même et la raison dramatique et logique d’Antony, et tout le drame tendant à cette phrase décisive et cette foudroyante synthèse, le jeune homme qui n’eût pas trouvé la phrase, n’eût pas écrit les

  1. Cf. Préface du Théâtre des autres, t. I, p. vii. « Quelques conseils que vous donniez à un homme à qui la fée des auteurs dramatiques a faussé compagnie, il lui sera impossible de les suivre ; ils ne lui serviront qu’à obscurcir et alourdir son premier travail ; ce qui n’empêche pas qu’il ait pu trouver une idée originale, une situation intéressante… »
  2. Le Gaulois du 21 avril 1894.