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L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides[1] ». Les images étaient si grandioses, et l’impression en fut si profonde, que cette génération s’enrichit de couleurs et de métaphores pour toute sa vie. Oui, ce fut une rude secousse pour l’imagination française. Pendant un demi-siècle, au moins, elle applaudira aux héroïques aventures et aux phrases superbes ; elle retrouvera en de moindres choses le frisson des beaux mouvements, des situations désespérées et des émotions souveraines. Une autre fantaisie que celle des Baour-Lormian et des Brifaut sera nécessaire pour repaître la sensibilité d’un « Français qui fut de la retraite de Moscou[2] ».

Les Bourbons pacifiques ne l’occupaient pas assez. Elle s’exalta dans ce calme. Bonaparte avait fait l’histoire ; les survivants de Waterloo firent la légende. Du fond du peuple monta la gloire impérissable. Ceux qui ont parcouru l’Europe avec Lui tournent obstinément leurs regards vers le golfe de Juan ; ils ne peuvent croire qu’il soit mort ; et enfin, quand il est avéré qu’il ne reviendra plus, qu’il a cédé sur son rocher à l’humaine destinée, sa figure grandit encore aux yeux de ceux qui furent de ses exploits ; elle apparaît comme le symbole du sentiment national ; le petit chapeau, la redingote grise où se dissimulait la main qui gagnait les batailles et signait les traités, ils revivent déjà d’une vie fabuleuse dans la tradition orale. Byron est le premier poète qui s’en avise. Hugo n’écrira plus Buonaparte ; il va découvrir en Lui matière et source de poésie. Béranger se fera l’écho des humbles dévotions[3].

Il s’est assis là, grand’mère,
Il s’est assis là ?
  1. A. de Musset, la Confession d’un enfant du siècle, ch. ii, p. 5.
  2. Stendhal, Racine et Shakespeare, première partie, ch. iii, p. 68.
  3. Béranger, Œuf/es éditées chez Garnier frères, édit. 1876,