Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

À la vue de ce sang, comme on dit dans les feuilletons, le drame se reconstitue dans cette tête dramatique, avec le cadre et les péripéties scéniques. Il a lu les étrangers, comme il a visité Fontainebleau, pour enrichir sa mémoire de spectacles et de situations ; il invente, ajuste, emprunte, dans la fièvre, le mouvement, — mouvement, fièvre de tête et de théâtre, — et la pièce est faite : elle s’appellera Christine à Fontainebleau.

Il voyage en Italie, s’intéresse à l’archéologie, qui éveille en lui des impressions telles qu’il écrit Caligula[1]. Il lui faut voir pour s’émouvoir ; et ce qu’il voit dans la nature et dans la réalité, se modifie à l’instant : il le voit en scène. Sa vie aussi, qui fut presque toute de fantaisie et de gageures, se transforme aisément en matière théâtrale. Il est partout dans son œuvre, il est la source même de quelques-unes de ses meilleures pièces, non qu’il soit foncièrement lyrique ou romantique, mais à cause que l’imagination dramatique domine en lui et sans effort le métamorphose et l’identifie à ses personnages[2]. Le château de Monte-Cristo est proprement un décor du Théâtre-Historique. Pendant un temps, Dumas joue les Monte-Cristo, ou Monte-Cristo les Dumas. Plus tard, il utilisera ses souvenirs de jeunesse dans les Forestiers, comme il avait mis ses rancunes de bureaucrate dans le Chevalier d’Har-

  1. Préface de Caligula (Th., VI), pp. 2-3. Il nous dit bien qu’il partit pour l’Italie dans l’intention d’écrire Caligula. Mais, comme il nous conte ailleurs que la pièce était primitivement destinée au cirque Franconi (Souv dram., t. I, ch. xii, p. 252), il convenait de ne retenir de la Préface que l’impression qu’il conserve de son séjour en Italie, et comment cela devient matière de drame.
  2. On remarquera combien c’est le propre des génies de théâtre. Molière, presque à tout coup, part de lui-même. Dumas fils, pareillement. Il trouvait Émile Augier plus littéraire que sincère, qui conformait peu sa vie à ses pièces.