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LE DRAME NATIONAL ET « HENRI III ».

et l’équivoque de « généreux ». M. Émile Faguet a remarqué que Victor Hugo n’est « pas du tout le poète des femmes[1] ». Certes, dans son théâtre, elles n’ont pas un langage très différent de celui des amoureux. Ce n’est pas le signe d’une rare sensibilité. Les femmes s’expriment à la façon des hommes, et les hommes agissent comme des femmes. Ils sont enivrés de poésie, de couplets et de rythmes. La théorie du drame moderne, les contrastes physiologiques, moraux, sociaux s’évaporent en des duos sans fin. Hommes et femmes sont romantiques, antithétiques, énigmatiques et symboliques en beaux vers. Ils ont lu, eux aussi, Calderon, Lope, Shakespeare, Scott, Byron, Gœthe, Schiller et Casimir Delavigne. Je vous quitte de ceux qui déclament la prose, et qui ont pratiqué Dumas. Les autres sont poètes, nés du cerveau d’un poète, de sensibilité moyenne, d’imagination magnifique, et nullement dramatique. Ils réjouissent nos yeux ; ils charment nos oreilles. Ils versent les sons avec les couleurs… « Sortons vite, disait Dumas à son fils après une représentation de Hernani ; ça pourrait recommencer. »

Depuis Marion de Lorme jusqu’à Ruy Blas, Victor Hugo n’a fait que recommencer. Il est d’une incroyable pauvreté de moyens, malgré les emprunts qu’il fait aux autres et à lui-même. Je ne lui reproche pas ses imitations du théâtre étranger, qui ne sont guère moins nombreuses que celles de Dumas, mais le faible parti qu’il en tire, parfois à contresens. La conspiration de Cromwell, souvenir de Cinna et de Fiesque, est reprise dans Hernani[2]. La scène des portraits de Ruy Gomez est une adaptation de celle des spectres de Richard III[3] :

  1. XIXe siècle, Victor Hugo, § iv, p. 168.
  2. Hernani, acte IV. Cf. Cromwell, III, sc. ii, p. 255.
  3. Le roi Richard III, V, sc. iii, pp. 231-253. Cf. Marino Faliero, V, sc. ii, p. 102 ; Hernani, III, sc. vi, pp. 84-88 ; Lu-