Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
135
LE DRAME NATIONAL ET « HENRI III ».

Dumas, qui n’était pas lent à exécuter, s’étonne que Hernani et Marion de Lorme aient été composés l’un en huit jours et l’autre en onze. Et il ajoute : « Hâtons-nous de dire que d’avance les plans de ces deux pièces étaient faits dans la tête du poète[1] ». Le poète n’a pas dû fatiguer beaucoup à les composer. Il est, en ce point, très inférieur à Pixérécourt. Il conçoit une abstraction, qui devient une image, qui s’agrandit et se découpe en tableaux, qui se développe par un contraste, qui s’accompagne d’une mélodie. La plupart de ses péripéties décisives ne se justifient point. Il ne s’avise aucunement des progrès de la technique. Et l’on ne saurait dire qu’il la méprise. Il prend pour des préparations sans réplique la signature d’un billet ou la remise d’un gage, comme aux jeux innocents. Salluste a le billet, Ruy Gomez sonne du cor. Il a des quatrièmes actes qui ne tiennent à rien, et que justifie le seul plaisir de la surprise : on y entre par les balcons et les cheminées ; il semble que les portes tapissées qui y sont le triomphe de la couleur locale, y soient d’ailleurs inutiles[2]. Au cours des autres, l’harmonie ne règne que dans le tissu délicieux et fragile des vers : au surplus, nulle proportion ; presque toujours une scène démesurée, celle qui se chante, la scène lyrique, et qui emplit chacun des actes. Le reste s’ajuste au petit bonheur. Les personnages sont trop souvent où ils ne devraient pas être. Une analyse de Hernani, vu de ce biais, serait piquante ; et de Ruy Blas aussi. Ils vont et ils viennent, se rencontrent, se quittent, et, quoi qu’ils en disent, sont rarement à leur affaire. Aucune logique en eux, point de projets à suivre. Ils ont des intrigues sinistres, qui avortent on ne sait

  1. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxi, p. 268.
  2. Voir plus bas, p. 273, n. 1.