Page:Parigot - Le Drame d’Alexandre Dumas, 1899.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
LE DRAME D’ALEXANDRE DUMAS.

de Schiller feront sagement de n’être pas trop sévères à Dumas. Il entre beaucoup des formules de Franz Moor dans le délire sceptique de don Juan de Marana ; tout de même dans l’exaltation d’Antony, dans la diplomatie d’Alfred d’Alvimar et la perfidie de Fritz Sturler. Reconnaissons encore une fois les rancunes de Rousseau, germanisées par Schiller, plus élégantes et guindées chez Byron. De Schiller procèdent les métaphores intenses, à terreur concentrée, les secrets terribles qui sont des poisons violents, venus en droite ligne de don Carlos[1], et que nous retrouverons dans Henri III et la Tour de Nesle. De Schiller est renouvelée une ironie féroce, je ne sais quelle gaîté macabre, que Dumas affecte volontiers, et qui est sensiblement différente de l’esprit français. On connaît le récit de Landry dans la Tour de Nesle ; Schufterlé des Brigands l’avait fait avant lui, plus brutal et plus court.

SCHUFTERLÉ.

En passant par hasard près d’une baraque, j’entends des cris lamentables qui en sortent : je regarde dedans, et, à la lueur de la flamme, que vois-je ? Un enfant, encore sain et frais, couché sur le sol, sous la table ; et la table allait tout justement prendre feu. « Pauvre petite

LANDRY.
Oui, c’était en Allemagne ; pauvre petit ange ! J’espère qu’il prie là-haut pour moi, celui-là. Imaginez-vous, capitaine, que nous donnions la chasse à des Bohémiens, qui sont, comme vous savez, païens, idolâtres et infidèles ; nous traversions leur village qui était tout en feu.
  1. Don Carlos (Th., II), IV, sc. iv, p. 44 : « Tu emportes un terrible secret, qui, semblable à ces poisons violents, brise le vase où il est gardé ». Cf. la Tour de Nesle (Th., IV), III, tabl. vi, sc. v, p. 59 : « Il y a des poisons si violents qu’ils brisent le vase qui les renferme ». Cf. Henri III et sa Cour (Th., I), IV, sc. i, p. 177 : « Oui,… mais un secret terrible, un de ces secrets qui tuent ». — On voit que Dumas ne laissait rien perdre, et qu’ayant utilisé seulement la moitié de la formule dans Henri III et sa Cour il rattrape l’autre moitié dans la Tour de Nesle.