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ALEXANDRE DUMAS PÈRE.

À la vérité, Dumas étend ses visées, une fois qu’il est emporté par l’action de son drame. Ces héros de l’individualisme manquent effroyablement de modestie. Doué du génie, qui le met de plain-pied avec les grands de la terre, Kean, l’illustre Kean, ne se contente point d’avoir un génie tout uni. Toutes les supériorités, il les a : les trois premières souplesses du corps, le saut du Niagara, la danse des œufs, le répertoire de Shakspeare, il excelle en tout également. Il incarne une manière de beauté léonine, qui fait merveille au théâtre de Drury Lane. On a vu des jeunes filles anémiques et presque muettes retrouver, après le spectacle, les couleurs et la voix. Et puis, ce superbe athlète se joue parmi les contrastes. Il fait la débauche avec les princes et les matelots ; mais, ne pouvant vivre comme un boutiquier, il vit à la façon d’un portefaix. Au fond, il est peuple, et tout exultant de morgue. Il dit couramment : « Nous autres, artistes… » du même ton que Mascarille disait : « Nous autres, gens de qualité… » Par un sophisme du même goût, il oppose l’honneur des artistes à celui des gens du monde, sans s’aviser qu’honneur et génie sont deux.

Gardez de le croire Anglais sur la foi de son nom. Il est un garde national encore exultant des journées de Juillet, et qui dit son fait à un lord Mewill sur le mode dont Figaro ruminait ses colères : « Tandis que le batelier Kean est né sur le grabat du peuple…. » Tout le xixe siècle a répété cette antienne chère à la vanité parvenue. Mais par une contradiction, qui fermente comme un levain d’amer-