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LE DRAME HISTORIQUE ET POPULAIRE.

Polyeucte est admirable. Sans une contorsion, presque sans un geste, elle découvre son cœur et dévore l’affront ; raisonnable et sensible, d’une beauté toute tragique, elle épuise le tissu serré des transitions morales et toute la gamme des plus intimes accents depuis la tendresse et la plainte jusqu’au cri de douleur et de fierté, dans une scène où il faudrait écrire en marge de tous les motifs : simple, sublime, humain !

C’est donc là le dégoût qu’apporte l’hyménée ?
Je te suis odieuse après m’être donnée !

Bérengère aussi ressent l’outrage. Mais elle se débat dans le vif du drame. Elle n’analyse pas son cœur ; elle le jette meurtri dans l’action. Elle redoute de s’ensevelir en ce tombeau vivant qu’est le cloître ; elle craint le déshonneur ; elle se trouble au souvenir du jour où elle se donna. Elle est amoureuse jusqu’à l’exaltation. Elle est femme et croyante ; elle fera, pieds nus, un pèlerinage et sera féconde. Le comte la rappelle à la raison. Il s’agit bien de raison ! Elle ne saurait se refroidir sur le sentiment de la jalousie qui la brûle. Elle ne peut oublier le son de cette voix qui pour la première fois lui murmura : « Je t’aime ! » La voici humiliée, suppliante, à deux genoux. Elle n a pas assez d’images violentes et sensuelles, encore frémissante de désirs, pour exprimer l’agonie de son amour et de son corps brisés.

Pour chercher la pitié dans votre cœur de pierre,
J’ai d’abord à mon aide appelé la prière ;
Bientôt vous avez vu l’excès de mes douleurs