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L’HOMME ET SON TEMPS.

un tempérament peu commun. Le « diable noir » (surnom que les Autrichiens donnaient au général en Italie) était une manière de colosse au teint bruni, aux yeux « marrons et veloutés », avec les dents blanches, les lèvres épaisses et souriantes, le cou solidement attaché sur de puissantes épaules, et « malgré sa taille de cinq pieds neuf pouces, une main et un pied de femme ». Cette finesse aristocratique de la main et du pied, ajustée à une musculature d’athlète nègre, son fils l’avait héritée et la légua à Alexandre Dumas, troisième du nom, qui en eut quelque fierté. Il faut lire les premiers chapitres de Mes Mémoires pour ressentir toute l’impression du jeune Dumas en présence de ce robuste père, « dont la force était proverbiale dans l’armée ». De quel style il nous conte que, le fusil ou le pistolet à la main, ce « véritable cavalier américain accomplissait des merveilles dont Saint-Georges et Junot étaient jaloux » ; qu’il s’accrochait à une poutre et enlevait son cheval entre ses jambes ; et cent autres gentillesses ! À cinquante ans de distance, Dumas les exalte comme avec religion. Il est bien de son temps, qui eut le culte de l’héroïsme, et aux yeux de qui la valeur commence à la contraction des muscles et aux coups de sabre, voire de poignard, solidement fournis. Lui-même ne dédaignera point, pour clore une discussion avec son concierge, de lui « passer la main sous les côtes » et de vous le suspendre, comme un Manfred, au-dessus des abîmes. Voyez, dans Mes Mémoires, comme il sauve la vie au premier objet de ses amours, et les prouesses qu’il accomplit pendant les journées de 1830. Partout il célèbre la force