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LE CONTEUR.

Ce mélange constant de fantaisie et de personnalité dans une atmosphère sociale aussi exacte que celle des romans historiques, explique le prodigieux succès des romans populaires. Jusque dans les plus dévergondées fictions, cela peint l’homme et l’époque. Monte-Cristo est le chef-d œuvre, un peu long, un peu fou, un peu sanglant, l’épopée en prose de l’or souverain, avec des intuitions qui, comme dans Antony, nous intéressent désormais à l’état d’âme de Dumas et de ses contemporains plus qu’à tout le reste. Est-ce de la littérature ? Je ne sais… Une vaine illusion, un plaisir sans qualité ? Assurément, non. Ou plutôt ne faut-il donc compter pour rien la joie naïve d’oublier pendant quelques heures les misères de notre condition et de plonger dans le rêve d’un conteur tout remué par les convoitises qui ne cesseront de nous agiter, tant qu’une nouvelle philosophie de solidarité humaine n’aura pas maîtrisé les instincts égoïstes et déclaré la banqueroute de la richesse ?

Dumas eût pu promener Dantès à travers toutes les contrées et sur tous les océans. Il pouvait prolonger indéfiniment sa vie idéale. Mais il n’a pas laissé que de nous conter sa vie cosmopolite. Si jamais homme fut fait pour étonner les capitales, c’est celui-là. Passé la frontière, la postérité commence pour lui. Alors son imagination caracole, sa personnalité piaffe, sa gaîté galope ; au nord et au midi il est pareillement gascon pour nos délices. Il respire, il se dilate, il s’est évadé de la géhenne : il fait éclater le feuilleton. La vie nomade lui est propre-