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LE CONTEUR.

connaît ses contemporains. Depuis qu’ils ont divinisé la Raison, ils tutoient l’Être Suprême, par une bonne privauté de Gaudissarts. Dantès n’est pas encore Gaudissart ; mais il s’y achemine. C’est un Buridan qui a trouvé la Toison d’or, un Antony de la seconde manière, un Dumas de la seconde jeunesse. Il a lu Mes Prisons de Silvio Pellico, le Vampire attribué à Byron ; il a presque lu le Rouge et le Noir. Le bandit Vampa s’absorbe dans les Commentaires de César ainsi que Julien Sorel dans le Mémorial de Sainte-Hélène. Dantès fréquente aussi à l’Opéra, comme l’auteur de Rome, Naples et Florence, mais pour le plaisir de son esclave Haydée et dans le dessein d’étonner les gens par ses solitaires, beaucoup plus que pour accrocher des sensations d’art. Avec son air pâle et fatal, il a déjà quelques ridicules de M. Poirier. On tremble à l’idée de ce que fût devenu Dumas, à partir de 1845, au sein de la bourgeoisie, s’il eût découvert le trésor de l’abbé Faria.

Quand Dumas conte Dumas, il faut s’attendre à voir les choses d’un certain biais qui n’est pas banal ; mais s’il compose le rêve effréné d’un Dumas idéal, comptez que c’est pur prestige, sortilège, merveille et gageure, dont on ne se déprend pas. La force vitale triomphe. Le bonhomme Noirtier, quoique paralytique, tient tête à toute une famille. Cela est peu. Une fois engagé dans l’action, Dantès ne vieillit point. Tout passe et meurt autour de lui. Les enfants ont succédé aux pères ; une génération, puis deux ont remplacé celle de 1815. Dantès seul se succède à lui-même et recueille de sa propre main le flambeau