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ALEXANDRE DUMAS PÈRE.

s’explique cette verve sans fin, qui s’amuse de ses improvisations, qui s’en grise jusqu’à la somnolence, cette fantastique prolixité, qui enlève à la qualité littéraire de l’œuvre sans en altérer ni l’humeur sereine ni l’étonnante vitalité. Rien n’est trop éloigné, élevé, étrange, prodigieux, magnifique, odieux, terrible pour ce Gulliver ubiquiste, sensuel, solide et gascon, grand redresseur de torts, grand dispensateur de justice, maître du monde à la force du poignet, et substitut de Dieu par droit de fantaisie. Détestable développeur, quand le Moi somnole, il est un conteur irrésistible, quand lui-même se fait de fête et s’élance, payant de sa personne, au milieu des aventures. Incapable d’écrire un roman situé en des localités qu’il n’a pas vues (voir le Mot au lecteur qui précède les Compagnons de Jéhu) soit de ses propres yeux, soit dans les textes, il est prompt à s’échauffer au seul souvenir des lieux où le récit commence et à s’extravaser en ses héros. Que dis-je ? Sous des noms divers, il n’y a qu’un seul héros, un seul protagoniste, le génie enflammé de Dumas. Sur ce point encore, il est bien l’homme de ses livres, qui élargit le sorite de Cyrano de Bergerac : La terre est la plus étonnante des planètes, l’Europe la plus étonnante partie de la terre, la France de la Révolution la plus étonnante contrée de l’Europe, le Paris de 1830 la plus étonnante des villes de France, et Dumas la plus fertile cervelle de Paris, le plus mirifique réservoir de tous les contes d’imagination vécue ou de vie imaginée, au jour le jour, au petit bonheur.