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LES CAPRICES DU CŒUR

— Alors je me réserve la prochaine.

— Je vous la promets.

Noël enlaça la jeune fille. Un bruissement de pieds, un frou-frou de robes de soie, faisaient accompagnement en sourdine à la musique.

Il ne parlait pas. Le plaisir qu’il éprouvait de la tenir dans ses bras, était gâté par l’idée qui le tenaillait. Tout à l’heure, un autre l’aura près de lui, et cet autre…

Tout à coup :

— Hortense, vous ne danserez pas avec Voisin.

— Et pourquoi ?

— Parce que je ne veux pas !

— La belle affaire ! Et de quel droit encore une fois ?

— Du droit que me donne le grand Amour que j’ai pour vous.

— Je vous ai dit que c’était une phrase de roman.

— Vous ne danserez pas… Je suis jaloux.

— Vous êtes jaloux. Je n’aime pas les jaloux.

— Hortense ! Je vous en prie ! Vous ne danserez pas.

— Vous êtes ennuyeux à la longue…

J’ai promis la prochaine danse. Je tiendrai ma promesse…

— Et moi, je vous dis NON.

— Lucien !

Elle le regarda d’un regard si hautain, qu’il se sentit subitement intimidé.

Les dernières notes s’éteignirent dans les applaudissements et les danseurs se fondirent dans un groupe. L’on parlait de Gilbert Voisin.

Cela agaça le journaliste…

— Vous savez qu’il a un amour en tête, fit une jeune fille.

— Comment cela ?

— Mais oui ! On ne le voit plus sortir avec aucune jeune fille.

— Et c’est…

— Ah ! là ! vous m’en demandez plus que j’en sais.

Toujours élégant, Voisin apparut au milieu du groupe. Il inclina le buste et la bouche en cœur :

— Ces demoiselles sont bien bonnes de s’occuper de moi. J’ai entendu prononcer mon nom. Et que disait-on de votre humble serviteur ?

— Que vous êtes amoureux.

— Moi ! Et pourquoi pas ?…

— Parce que vous n’en avez pas le droit. Songez donc à toutes les malheureuses que vous allez faire…

L’interpellé se bomba la poitrine et insolent et fat.

— Si je fais une heureuse…

— Ce sera la plus malheureuse, celle-là, glissa Noël.

— Vous avez dit, Monsieur le journaliste ?

— Que l’élue de votre cœur sera plus malheureuse, mille fois, que celles que vous avez dédaignées. Peut-elle vous aimer au moins ?…

— Plus qu’elle ne vous aimera jamais…

— Et c’est…

— Vous le saurez assez tôt.

L’orchestre attaqua un fox trot.

— Mademoiselle, dit Voisin à Hortense. en lui tendant la main. Vous venez…

— Puisque je vous l’ai promis… À tantôt, Lucien.

Lucien regarda évoluer les jeunes gens quelques secondes. Mais de tous les couples qui étaient là, un seul l’intéressait. Il ne pouvait s’en détacher les yeux. Il était, hypnotisé.

Il remarqua que tous deux semblaient heureux d’être ensemble, qu’ils se souriaient, et que le jeune homme collait sa joue un peu trop près de celle de la jeune fille.

La danse finie, le couple passa près de lui. Il voulut parler à Hortense. Elle lui répondit évasivement et continua son chemin avec son compagnon.

Lucien Noël erra de ci et de là ; il était pâle, très pâle.

— Êtes-vous malade, monsieur Noël, lui demanda Jacques Dubois, le frère de Pauline ?

— Un peu fatigué.

L’autre lui fit un clin d’œil et lui signifia de le suivre.

Ils montèrent à la chambre de Jacques.

— Prendriez-vous un verre de cognac ?

— Deux même.

— C’est facile. Servez-vous.

Une bouteille était sur la table à côté de quelques verres.

Lucien en remplit un à plein bord, le vida d’un trait et recommença.

L’alcool le stimula presque instantanément.

Il redescendit.

Hortense était toujours avec Voisin. Elle