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LES CAPRICES DU CŒUR

Il resta quelques instants sans répondre, regardant son ami curieusement dans les yeux.

— Et que signifie cette lecture.

— Elle signifie que…

— Encore une fois.

— Non pas… La première fois. L’autre, c’était une fantaisie.

— Et la conséquence de ta lecture.

— J’ai découvert que j’étais jaloux. Quant au type d’amoureuse de ma flamme, je ne l’ai encore su définir… Ce que je sais, c’est que je l’aime. Un point c’est tout.

— Je l’aime à la folie, je tuerais pour elle.

— Toujours emballé, toujours fou.

— Pas comme tu penses. Cette fois-ci, c’est l’amour sérieux, le grand amour, celui qui s’écrit avec un grand A. Celui qu’on éprouve une fois dans sa vie.

— Elle t’aime au moins.

— Elle me l’a dit. Des fois j’en doute.

Mainville essaya de tuer en Noël cette passion naissante, en névrosé qu’il était et demeurait. Mais comme il vit que l’autre s’acharnait à détruire ses raisonnements, il en conclut que décidément Lucien était fortement épris à tout jamais.

Il l’aida alors de son expérience qu’un commerce assidu des femmes durant ses années d’université et la pratique de l’humanité lui avait donnée.

— Ce que tu m’en as dit me fait voir que c’est une coquette.

Sa coquetterie est flattée de ta conquête. Tu menaces de devenir quelqu’un. Ça la flatte de t’atteler à son char.

Qu’elle t’aime comme tu l’aimes, je ne le crois pas. Je crois qu’elle peut t’aimer si tu sais en prendre les moyens.

Je suis convaincu que n’importe quel homme puisse réussir à aimer n’importe quelle femme, à condition que le Hasard s’en mêle et que chacun y mette du sien. Personnellement, je ne crois pas à la prédestination en amour…

— Moi, j’y crois…

— Tu en reviendras… Je ne discuterai pas ce point avec toi ; cela nous amènera trop loin dans des considérations physiologiques ou purement psychiques, mais non moins purement oiseuses… Elle croit peut-être t’aimer. Elle ne t’aime pas encore.

— Pourtant, elle me l’a avoué…

— Oui, elle t’aimait momentanément. Mais depuis, elle s’est ressaisie. Si tu es pour elle une proie trop facile, elle s’en dégoûtera… Si, au contraire, tu piques sa vanité en lui laissant croire que ses charmes ne sont pas aussi irrésistibles qu’elle le croit… ce sera autre chose. De nouveau, elle entrera dans la mêlée, amènera à la rescousse tout le formidable attirail de ses charmes, se prendra finalement au jeu et pour excuser son petit manège s’autosuggestionnera qu’elle t’aime, finira par t’aimer réellement, prise elle-même à son propre piège.

— Pour un ennemi des femmes, tu es très fort en psychologie féminine.

— C’est que je puis les observer sans parti pris, en avocat, sans être parti à la cause.

— Alors, tu me conseilles…

— De la rendre jalouse…

— C’est facile à dire… Tu me définis son cas… Laisse-moi maintenant te définir le mien. Nous verrons ensuite si mon tempérament peut s’accorder avec ce que tu me proposes.

— Te définir ton cas. Je te connais comme si je t’avais élevé. Tu es un impulsif, un enthousiasme, un passionné d’une réalité ou d’une chimère… N’importe, mais il te faut une passion dans ta vie, qui domine les autres. Durera-t-elle ?

— Plus que tu ne le penses. Je t’ai dit que j’étais épris à tout jamais. Je complète ton esquisse. Je suis de plus, un jaloux.

— Peut-être. C’est la part de ton orgueil. La jalousie est à la fois un signe de force et de faiblesse. C’est un signe de force en ce sens qu’elle est une manifestation de l’orgueil. Or l’orgueil nait de la conviction d’une force apparente ou réelle, mais d’une force malgré tout. Signe de faiblesse parce qu’elle te fait craindre un rival heureux, par conséquent, signe d’un manque de confiance.

— Ce n’est pas de cela que j’ai peur. En amour, il n’y a ni force, ni faiblesse. Être préféré par une femme à un autre ne signifie pas qu’on ait la conviction d’être inférieur à l’être préféré.

On a vu des femmes très intelligentes préférer à un homme supérieur moralement, intellectuellement et physiquement, un autre homme dont la valeur ne se pouvait aucunement comparer. Je n’ai pas