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LES CAPRICES DU CŒUR

ceux de la jeune fille, il s’approcha d’elle. Un vertige s’empara de lui qui lui fit perdre notion de tout. Fougueusement, il l’enlaça et ses lèvres brûlantes s’appuyèrent sur celles de la jeune fille. Il essaya de boire sur cette bouche toute la folie qui le troublait. Il ne sentit pas le frisson qu’il espérait. Elle ne se donnait pas dans ce baiser.

La voix pressante, il lui demanda à nouveau, la même question, la question éternelle que des millions et des millions d’humains ont posée, la question vitale aux conséquences innombrables :

— Hortense, m’aimez-vous ?

Cette fois, la jeune fille ne répondit rien et le regarda simplement d’une façon indéfinissable, énigmatique. Il essaya de comprendre ce silence. Son esprit se perdait. Il saisit les poignets, et les serra ; il était fébrile. La voix devint étouffée, les yeux plus brillants :

— Hortense, m’aimez-vous ?

Et son étreinte était si serrée, que les os craquaient entre ses doigts.

Dans un souffle, elle répondit :

— Oui ! Je vous aime.

Ce fut comme une lumière qui aurait illuminé son âme. La Vie lui sourit. Elle devint grandiose.

Comme transfiguré de bonheur, il continua :

— Vous êtes sincère.

— Je suis sincère.

— Et moi, Hortense ! Je vous aime à la vie et à la mort. Je vous aime par-delà la mort, je vous aime pour l’éternité.

Oui, Hortense était sincère. À ce moment-là du moins.

L’Amour qu’elle inspirait était si intense qu’il s’en dégageait comme un fluide. Elle en était pénétrée, un peu malgré elle. Des effluves lui allaient jusqu’au cœur. Elle ne pensait plus, elle vibrait.

Entre les deux jeunes gens, un silence régnait ; un silence éloquent, un silence qui parlait. Des interrogations flottaient dans l’air que rencontraient des réponses. Et toutes, elles étaient tendres, douces et passionnées à la fois.

Pour briser ce silence elle dit :

— Quand retournez-vous à Montréal ?

— Demain matin.

— J’y vais dans une semaine. Je vous y verrai.


XII


Quand Lucien fut parti, Hortense resta seule au salon. Elle éteignit les lumières et s’enfonça dans un fauteuil. Elle resta là longtemps. Tant d’émotions s’agitaient en elle, que ses nerfs trop secoués en étaient ébranlés.

Non elle n’avait pas menti tantôt, lorsque, séduite par la fascination des paroles troublantes, elle avait avoué un amour qu’elle ignorait. Elle était sincère à ce moment-là. Son âme, soulevée immatériellement dans un rêve magnifique, vibrait tout entière.

Elle avait avoué son amour. Cernée de toutes parts par l’ardeur du jeune homme, fiévreuse de sentir cette passion profonde qu’elle avait inspirée, la gagner à son insu, hypnotisée par le regard pénétrant où se lisait tant de ferveur mal assurée, elle avait répondu, dans un moment de faiblesse, qu’elle aimait.

Pour la première fois, elle avait éprouvé une sorte de trouble grisant. C’était cela, l’amour.

Pourtant, maintenant… oui, maintenant… Non elle ne l’aimait pas, pas plus lui qu’un autre. L’heure n’était pas encore sonnée où elle s’abandonnerait tout entière à la folie d’aimer.

Hortense n’avait jamais aimé. Elle désespérait d’aimer d’autres personnes qu’elle-même. Tout à l’heure, n’était-ce pas seulement l’Amour de Lucien qu’elle avait chéri. Pourtant ses lèvres, au contact des siennes, avaient frémi. Ce n’était que physique : une sensation dans sa chair qui ne laissait aucun regret, aucun désir.

L’aventure qu’elle avait tentée, l’incroyable aventure d’amour-propre qu’elle avait voulu essayer de vivre, dans le but d’offrir à sa vanité un sacrifice humain, ne lui inspirait plus le même intérêt de jadis. Pas plus que les autres, Lucien, n’était d’airain. Moins que les autres. C’était une créature de chair et de nerfs, dominée par l’impulsion du moment.

Elle avait cru à plus de résistance. Ses débuts avaient été durs, mais un rien, quelques visites, dans une époque d’oisiveté et de relâchement, et le mur d’indifférence s’était écroulé de lui-même. Il ne restait aucune pierre debout.

Lucien, ce misogyne de façade, n’était au fond qu’un sentimental au repos. Son